© : Ground Zero Blues Club / Facebook.

La nouvelle de la mort brutale de Perry, qui s’est éteint le 8 mai 2023 à soixante-quinze ans, n’a pas été communiquée tout de suite, respectant en cela le souhait de la famille. Ces vingt dernières années, cet artiste faisait partie des figures du blues dans la région de Clarksdale, ce qui lui permit d’étendre sa popularité à l’international. Mais avant de se faire connaître dans un style archétypal du Delta blues électrifié, il a emprunté un long parcours plutôt original. Il naît Billy Jo Perry le 20 août 1947 à Tula, Mississippi, non loin d’Oxford dans la région dite des « collines du nord ». Issu d’une famille de métayers, il connaît très jeune les champs de coton, où sa mère le porte sur son dos pour travailler. En grandissant, il s’adonne au chant à l’église avec sa mère et cueille lui aussi du coton pour se faire un peu d’argent, même s’il dira qu’il préférait parcourir les bois et les collines, et grimper aux arbres ! Quant à son père, il conduit un camion de transport du bois, vit surtout en fabriquant du whiskey de contrebande et offre à son fils une guitare gagnée en jouant aux dés. Le perdant, Ned Bowles, avait joué dans sa jeunesse avec Son House et Robert Johnson…

À seize ans. © : Bill Perry / Facebook.

En août 1961, la famille part pour Chicago et s’installe dans le West Side sur West Madison Street, à proximité d’un club tenu par Howlin’ Wolf. Perry n’a même pas besoin de sortir de chez lui pour entendre le Wolf, Mighty Joe Young, Muddy Waters… Vers l’âge de seize ans, il écrit sa première chanson et rêve d’enregistrer du blues, mais sa mère s’y oppose, et il ne pourra s’y mettre qu’après le décès de celle-ci. En attendant, il joue de la guitare et de la basse aux côtés d’artistes de gospel dont Shirley Caesar, les Salem Travelers, les Five Blind Boys, et en 1968, il apparaît sur l’album « Keep On Marching » (HOB) des Clefs of Calvary (gravé deux ans plus tôt), avec lesquels il se produit à l’Apollo à New York. La tournée le mène à Memphis, où il dilapide avec le groupe l’argent gagné en une soirée, et l’annulation du concert prévu le lendemain le laisse sans un sou en poche !

© : Discogs.

Fauché, il se rend dans un restaurant où se trouve Little Milton, qui l’engage tout en l’incitant à chanter davantage, et Perry peut ainsi accompagner T-Bone Walker, Freddie King, les Moonglows et Clarence Carter. Il rentre ensuite à Chicago où il diversifie ses activités et travaille comme producteur pour divers labels, notamment dans les studios Chess (Ter-Mar) jusqu’à leur fermeture en 1979. Il collabore avec des artistes de blues, de soul, de R&B et de gospel dont Fontella Bass, Little Johnnie Taylor, Charles « Cole Black » Brown (auteur d’un unique single chez Jewel en 1973, hormis un autre cinq ans plus tôt mais uniquement en édition promo), Cash McCall, Willie Dixon, Deirdre Clark and the Melodyaires, les Violinaires et Albertina Walker. Il enregistre quelques singles dans un registre soul, sous le nom de Billy Easton en 1970 chez Dispo, de Billy Perry en 1973 chez Ronn et de Bill Perry en 1976 chez Fantasy. Perry déménage en Californie à la fin des années 1970, fait partie des groupes de Johnnie Taylor, de Little Richard, retrouve Cash McCall qu’il accompagne sur deux albums, est invité dans l’émission télévisée de Don Cornelius Soul Train, mais la vie à Los Angeles commence à lui peser et la musique lui rapporte peu.

À vingt-et-un ans. © : Bill Perry / Facebook.

En 1987, Bill Perry regagne le Mississippi et devient « Howl-N-Madd » pour se consacrer exclusivement au blues. Il rejoint les Relaxations à Oxford et réalise un single dans les studios Muscle Shoals en Alabama. À partir de la décennie suivante, il vit à Clarksdale et fonde un groupe familial, les Perrys, qui comprend sa fille Sharo « Shy » au clavier basse et son fils Billy Jr. au piano. Les Perrys tournent abondamment à l’étranger, en particulier en Asie, signent deux albums ensemble, « Voodoo Charm » en 1997 et « Got What It Takes » en 2000, puis Howl-N-Madd en sort une dizaine d’autres sous son nom : « Casino Dreams », « Twice As Nice », « The Way Of Blues », « HNM Revisited », « The Clarksdale Sessions », « Got What It Takes », « Reason I Sing The Blues », « Thankful For The Blues », et « Bill Perry Music Heals The Soul », son dernier en septembre 2022. Relevons que tous ces disques sont des autoproductions. Ils mettent bien en avant le style racinien du bluesman, qui repose sur une puissante voix caverneuse et un jeu de guitare obsédant et expressif, mais qui intègre à sa musique des ingrédients de la soul.

© : Bill HowlN-Madd Perry / Facebook.

Parallèlement, soucieux de transmettre son expérience, Bill « Howl-N-Madd » Perry s’investit à d’autres niveaux pour le blues à Clarksdale, comme animateur radio pour WROX, et surtout en enseignant la musique durant cinq ans au Delta Blues Museum, ce qui lui permet de découvrir de nombreux jeunes bluesmen. L’un deux est aujourd’hui très célèbre et s’appelle Christone « Kingfish » Ingram. Il doit d’ailleurs son surnom Kingfish à Perry, dans des conditions savoureuses relatées dans un article du numéro 250 de Living Blues : « Un jour, j’ai demandé à Christone de m’amener le lendemain une bouteille de vin. Il m’a répondu qu’il n’avait pas le droit d’acheter du vin [il devait avoir dix ans], je lui ai dit de demander à sa mère. Le lendemain quand il est venu, il a traversé la salle mais il avait l’air penaud. Il m’a dit qu’il avait le vin mais qu’il avait laissé tomber la bouteille qui s’était brisée. Je lui ai dit qu’il avait bu le vin, qu’il sentait l’alcool, il a nié (…). Je lui ai répété qu’il avait bu le vin, qu’il me rappelait le personnage d’une série télévisée [The Kingfish] qui essayait tout le temps de flouer les gens. À partir de maintenant, tu seras le Kingfish. »

© : Bill Perry / Facebook.

À lire
– Portrait de Bill « Howl-N-Madd » Perry dans le numéro 228 de Living Blues.
– Portrait de Kingfish dans le numéro 250 de Living Blues.

À voir
Howl-N-Madd, Mississippi Blues Family Man (2014) documentaire de 27 minutes par Lee Quinby (bande-annonce).
ReMastered: Devil at the Crossroads (2019), documentaire de Brian Oakes sur Robert Johnson dans lequel Perry apparaît. (bande-annonce).

À Chicago en 2013. © : Brigitte Charvolin / Soul Bag.

À écouter
Why can’t this time en 1970, son premier single, sous le nom de Billy Easton.
Sitting on the banks of the river en 1973.
Slow down en 2007.
Juke joint jump en 2012.
Came out to party en 2014.
Song from hell en 2015.
Animas River Blues Festival en 2015, concert intégral.
Way of blues en 2017.
Thankful for the blues en 2020.