Top of blues copie

Au programme de mon émission sur YouTube, Lead Belly (rubrique « Un blues, un jour »), et James « Son Ford » Thomas et Sonny Boy Watson (pour les deux Grammys de la rétrospective de William Ferris, rubrique « Top of blues »).

Le 25 mars 1931 restera comme une date sombre dans l’histoire des États-Unis en termes d’erreurs judiciaires directement imputables au racisme et à la ségrégation qui règne alors. Il s’agit de la tristement célèbre affaire des Scottsboro Boys, qui débuta donc ce 25 mars 1931 dans un train de marchandises, non loin de Scottsboro dans l’Alabama. Ce jour-là, des Blancs entreprirent de chasser un jeune Noir, Haywood Patterson, estimant que le train leur était « réservé ». Mais huit autres adolescents noirs vinrent à la rescousse de Patterson et parvinrent à repousser les Blancs. Il s’agissait là d’une bagarre presque banale, comme il en arrivait régulièrement à cette époque, surtout dans les trains propices à la resquille et au vagabondage. Mais les Blancs n’en restèrent pas là, et dès la première occasion, ils partirent prévenir le shérif de Scottsboro pour accuser les Noirs de les avoir attaqués. Les neuf Noirs, âgés de 12 à 19 ans au moment des faits, sont arrêtés peu après. Ils se nomment, outre Patterson (18 ans), Clarence Norris (19 ans), Charlie Weems (19 ans), Andy Wright (19 ans), Olin Montgomery (17 ans), Ozie Powell (16 ans), Willie Roberson (16 ans), Eugene Williams (13 ans) et Roy Wright (12 ans), qui est aussi le frère d’Andy Wright.

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Normalement, ils auraient dû s’en tirer sans gros dommage, mais un nouveau fait intervint : deux jeunes Blanches, Victoria Price et Ruby Bates, qui se trouvaient également dans le train, se présentent et affirment avoir été violées par un groupe de Noirs. Confrontées à Patterson et aux autres membres de son groupe, elles les accusent et tous sont emprisonnés. Deux semaines après les faits et à l’issue de parodies de procès avec un jury évidemment blanc, tous les Noirs sont condamnés à mort sauf le plus jeune. Pourtant, les analyses médicales ne révélèrent pas de trace de viol, et on soupçonnait même les deux Blanches de s’adonner à la prostitution… Les appels se succédèrent, mais les accusés restèrent derrière les barreaux pendant six ans sans que leur culpabilité soit établie. Il fallut attendre jusqu’en 1937 pour que les événements évoluent : quatre d’entre eux sont finalement libérés mais les quatre restants prennent de lourdes peines allant de 75 à 105 ans.

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Dans les années 1940, trois d’entre eux seront libérés sur parole et le quatrième, qui n’est autre que Patterson, s’évadera, publiera un livre en 1951 (« Scottsboro Boy », avec Earl Conrad) sera repris et mourra peu après d’un cancer en prison, en 1952. Clarence Norris sortira aussi un livre en 1979 sur leur triste expérience, « The Last of the Scottsboro Boys » (avec Sybil D. Washington). Enfin, en 2013, les trois libérés sur parole seront graciés à titre posthume, leur culpabilité n’ayant jamais été démontrée. L’affaire des Scottsboro Boys aura un énorme écho et constitue un des pires exemples des conséquences de la ségrégation qui se traduisait notamment par une totale absence d’équité dans le domaine de la justice. Pour illustrer cela, Lead Belly, lui aussi habitué des tribunaux et des séjours derrière les barreaux, était tout indiqué… En 1938, il a enregistré en précurseur une des premières chansons engagées, une protest song, qu’il a simplement appelée Scottsboro Boys, et que j’ai bien sûr programmée dans mon émission.

 

En deuxième partie, je suis heureux de pouvoir m’arrêter un peu plus longuement sur une anthologie sortie l’été dernier que j’ai déjà évoquée à deux reprises, lors d’émissions des 9 décembre 2018 et 1er mars 2019, et ici dans les articles correspondants. Mais j’y reviens aujourd’hui dans la rubrique « Top of Blues » car elle a obtenu deux Grammy Awards le 10 février dernier. Il s’agit de « Voices of Mississippi – Artists and Musicians Documented by William Ferris », on la doit à Dust-to-Digital, et comme son nom l’indique elle porte sur les travaux de collecte de William Ferris dans le Mississippi, principalement dans les années 1960 et 1970. Elle comprend 3 CD thématiques, un sur le blues, un sur le gospel et un consacré à des interviews, mais également 7 films sur DVD et un livre de 120 pages. C’est donc un ensemble très complet et c’est la rétrospective rêvée de l’œuvre fondamentale de Ferris, qui a recueilli les témoignages des artistes chez eux et sur le vif, qu’il s’agisse des enregistrements musicaux comme des entretiens. Je ne suis pas toujours d’accord avec les choix des Grammys mais sur ce coup ils ne se sont pas trompés.

D’un point de vue purement académique, un Award est donc attribué à Ferris dans la catégorie du meilleur album historique, et l’autre à David Evans dans celle des meilleures notes d’un album. Tout est formidable mais j’avoue un faible pour le CD gospel : vous le savez car les deux extraits que j’ai précédemment passés pour illustrer des thèmes précis en étaient justement issus. Mais comme l’anthologie a reçu deux Awards, eh bien je vais programmer deux morceaux issus du CD blues, un aujourd’hui et l’autre lundi prochain, ça le mérite vraiment… Pour commencer, une petite merveille qui met en scène un duo de chanteurs-guitaristes. Le premier est un bluesman du Delta bien connu car c’est James « Son Ford » Thomas, mais il s’accompagne d’un total inconnu car il n’a enregistré que deux morceaux avec Ferris, Sonny Boy Watson. Voix haut perchée et guitare brûlante qui prend aux tripes, on est en plein dedans. Ça s’appelle I Cannot Stay Here Baby.