30 mai 1999, Bishopstock Blues Festival, Exeter, sud-ouest de l’Angleterre. Après une journée qui vit se succéder les Big Town Playboys, Charlie Musselwhite, Shemekia Copeland, Taj Mahal, The Blind Boys of Alabama, The Blue Bishops et Tommy Castro, nous échouons au bar du White Hart Hotel où nous pensons nous remettre de nos émotions. Rapidement, un Américain nous rejoint à table. Il s’appelle Eugene « Hideaway » Bridges et s’est produit au festival l’année précédente. Alors inconnu, il nous explique longuement qu’il fut officier de police au Texas avant sa carrière artistique, n’hésitant pas à exhiber son étoile de shérif ! Peu après, il est rejoint par Otis Grand, qui était au programme la veille. Comme Eugene, Otis réside alors en Angleterre où il est très apprécié. La conversation se poursuit mais les guitares ne restent pas longtemps dans leurs étuis. Et malgré un cadre exigu, les bluesmen nous offrent un bœuf improvisé inoubliable ! Nous reverrons Otis en d’autres occasions, notamment lors du festival de Cognac où il laisse le souvenir de prestations incendiaires.
La disparition hier 8 juin 2023 à soixante-treize ans de cet artiste chaleureux et généreux nous attriste donc beaucoup. De son vrai nom Fred Bishti, il naît le 14 février 1950 à Beyrouth au Liban. Son père, qui se passionne pour Nat King Cole, joue de la trompette, et sa mère chante. Grand apprend à jouer de la guitare en 1963 et cite Robert Johnson, B.B. King et Otis Rush parmi ses premières influences. Il joue d’abord de la guitare acoustique (et même du Delta Blues à la slide !) mais il sait qu’il doit passer à l’électrique pour trouver plus facilement des engagements. En 1973, Grand et quelques amis étudiants branchent leurs instruments sur le système de protection contre les incendies de l’université américaine de Beyrouth, ce qui leur permet de donner un concert sur le campus qui attire 1 000 spectateurs ! C’est l’acte de naissance du Bliss Street Blues Band, le premier groupe d’Otis Grand.
L’année suivante, il vit à Oakland, Californie, découvre des artistes renommés de la Côte Ouest comme Johnny Otis et T-Bone Walker, trouve visiblement sans mal des engagements et rencontre Joe Louis Walker dont il restera proche. C’est d’ailleurs Joe Louis qui produit le premier album d’Otis Grand (avec ses Dancekings), « Always Hot », sorti en 1988 pour le label anglais Special Delivery. Et justement, cet excellent disque est très bien accueilli outre-Manche et Otis décide de s’installer en Angleterre. Otis ne chante pas (il s’y essaiera ponctuellement) mais il sait s’entourer. Dans les années 1990, il partage ainsi des disques très réussis avec Phillip Walker (« Big Blues From Texas », JSP, 1992), Joe Houston (« The Return of Honk! », JSP, 1994), Anson Funderburgh et Debbie Davies (« Grand Union », Blueside, 1998). Comme ses propres albums, « He Knows the Blues » (Volt, 1990), « Nothing Else Matters… » » (Sequel, 1996) et « Perfume and Grime » (Sequel, 1996), sont tout aussi remarquables avec le soutien d’excellents vocalistes (Earl Green, Jimmy « T-99 » Nelson, Joe Louis Walker, Curtis Salgado, Sugar Ray Norcia…), Otis Grand est un artiste très en vue et demandé durant cette décennie.
Dans les années 2000, il continue d’imposer son style dynamique basé sur un jeu de guitare tranchant jamais démonstratif, et des shows qui suscitent systématiquement l’enthousiasme avec comme points d’orgue des boogies renversants. En 2002, il retrouve son ami Joe Louis Walker pour un superbe album commun chez JSP, « Great Guitars ». Ensuite, ses disques s’espacent et sont réalisés pour des labels à faible diffusion ou autoédités, comme « Hipster Blues » (Bliss Street, 2007), « The Grand Sessions » (avec le Granada Blues Band, Riff Producciones, 2009) et « Blues ‘65 » (MainGate, 2012), qui restera donc son dernier. Otis Grand, qui vit quelque temps en France, se fait plus discret et sa dernière date chez nous remonte à 2015. Ses apparitions ne cessent hélas de se raréfier, et, désabusé et diminué à la fin par une santé précaire, il finit par disparaître de la circulation dans un quasi anonymat. Triste fin de carrière pour un musicien d’exception qui donnait toujours son meilleur…
Voici maintenant une sélection de chansons en écoute, uniquement des extraits de concerts…
– The Albert Collins shuffle en 1995.
– Live at Cult TV avec Monster Mike Welch. Sans date mais les images (et notamment celles de Welch !) font penser à la fin des années 1990…
– À Torrita Blues en 2005.
– Blues Cazorla Festival en 2013, concert intégral.
– Satan’s blues en 2014.
– Guitar boogie en 2016.
– B.B. King medley en 2016.
– Reelin’ & rockin / Please don’t leave en 2016.
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