© : Oxford University Press.

Il a bien failli nous échapper… Le livre de Benjamin J. Harbert Instrument of the State: A Century of Music in Louisiana’s Angola Prison (Oxford University Press) est en effet paru le 4 juillet 2023. Le titre laisse peu de place au doute, il s’agit d’un ouvrage centré sur le tristement célèbre pénitencier d’État de Louisiane, connu sous le nom d’Angola. En 1834, en Louisiane, dans un méandre du Mississippi et tout près de la frontière de l’État du même nom, Francis Routh exploite des terres où l’on cultive le coton. À la fin des années 1830, il les cède à un riche planteur et marchand d’esclaves, Isaac Franklin, qui crée progressivement sept plantations dont la plus importante s’appelle Angola, car la plupart des esclaves qui arrivent en Louisiane sont originaires de ce pays d’Afrique.

Prisonniers à Angola, années 1920. © : Louisiana Department of Culture, Recreation and Tourism.

En 1880, face à des récoltes de moins en moins rentables, la famille Franklin vend ses plantations à Louis Trager et Samuel Lawrence James. Ce dernier et ses descendants profitent alors d’un odieux système étatique, le convict lease system, autrement dit des travaux forcés auxquels sont soumis des prisonniers souvent condamnés pour des motifs futiles, dans des conditions si dures que la mortalité est très élevée (on parle de 3 000 décès entre 1870 et 1901 sur les possessions de James). Les Afro-Américains sont évidemment majoritairement victimes de ce système. Dès lors, des prisons plus ou moins officielles « fleurissent » et engraissent les propriétaires blancs trop heureux de trouver une alternative à l’abolition de l’esclavage aboli en 1865…

Robert Pete Williams à la Chapelle des Lombards à Paris, 7 novembre 1979. © : Lionel de Coster.

Le 27 mars 1901, le Board of the Central Louisiana State Penitentiary achète aux descendants de James quatre plantations dont Angola, ce qui marque l’acte de naissance du pénitencier d’État de Louisiane. De nos jours, avec quelque 6 300 prisonniers et 1 800 employés sur une surface de 73 km2 (!), Angola reste le plus important établissement pénitentiaire de haute sécurité des États-Unis, avec des détenus condamnés à mort, à perpétuité ou purgeant de lourdes peines. La musique fut souvent le seul moyen pour les détenus d’oublier provisoirement leurs dures conditions de détention, et quelques bluesmen notoires y séjournèrent. Des ethnomusicologues comme John Lomax, Alan Lomax, Harry Oster et Richard B. Allen les ont enregistrés aux côtés d’autres moins connus. Lead Belly et Robert Pete Williams viennent d’emblée à l’esprit, mais le livre de Harbert ne s’arrête évidemment pas à ces deux illustres personnages.

James Booker. © : Bayou Maharajah.

Passons d’ailleurs à notre sélection de chansons en écoute.
Take a whiff on me en 1934 par Lead Belly. Enregistré par John Lomax au pénitencier d’Angola.
Levee camp blues en 1959 par Robert Pete Williams. Enregistré par Harry Oster et Richard B. Allen au pénitencier d’Angola.
Black night is fallin’ en 1959 par Hogman Maxey. Enregistré par Harry Oster et Richard B. Allen au pénitencier d’Angola.
Electric chair blues en 1959 par Robert « Guitar » Welch. Enregistré par Harry Oster et Richard B. Allen au pénitencier d’Angola.
Tico tico en 1997 par James Booker, condamné en 1970 à deux ans de prison à Angola pour détention de drogue.
Yellow moon en 2005 par Charles Neville et les Neville Brothers. Le saxophoniste de la fratrie Neville passa trois ans et demi à Angola à partir de 1963 pour possession de marijuana.
Instrument of the State: A Century of Music in Louisiana’s Angola Prison par Benjamin J. Harbert (Oxford University Press, 368 pages, 35,95 dollars).

 

Charles Neville. © : Billboard.