Le trompettiste Alza Bordin honoré à Marie-Galante

En tant que résident de Capesterre-de-Marie-Galante, l’émotion m’étreint au moment de rédiger cet article dans le cadre de ma rubrique sur les musiques guadeloupéennes. En effet, ce samedi 2 décembre 2023, l’OMCS (Office municipal de la culture et des sports) de Capesterre suffisait tout juste pour contenir les spectateurs venus rendre hommage à Alza Bordin, répondant ainsi avec enthousiasme à la volonté du Club Soroptimist et de la municipalité de l’honorer. Né ici le 27 janvier 1947, Bordin fourbit ses premières armes en animant des bals, puis il joue dès la fin des années 1960 dans différentes formations. Ainsi, en 1968, il apparaît sur un disque du guitariste et arrangeur « Maestro » Michel Desgrottes, dans un groupe qui comprend aussi le batteur Christian Fanfant (fils de Roger Fanfant, célèbre chef d’orchestre et multi-instrumentiste de jazz et de biguine).

Une dizaine d’années plus tard, il collabore justement avec un autre membre de la famille, Fred Fanfant, batteur et percussionniste à l’origine du groupe Fairness Jr. Notamment formé au jazz et à la biguine, Bordin rencontre dans les années 1980 Gérard Lockel (mon article du 9 septembre 2023), dont la version novatrice du gwo ka dite « Gwo ka modèn » diffère de son approche basée sur la gamme pentatonique, comme il l’expliquait dans le livre de Jérôme Camal (1) Creolized Aurality: Guadeloupean Gwoka and Postcolonial Politics (Chicago University Press, 2019) : « Avant de l’écrire, j’ai été introduit à la méthode sur la base de gammes pentatoniques. (…) Personne ne m’a montré la structure de la gamme. J’écoutais la musique et je développais ma propre méthodologie sur la « tablature » de mes connaissances musicales. Je les entendais [les gammes pentatoniques], et quand on s’y plonge vraiment – car il existe beaucoup de méthodes à ce propos –, on y voit une base de gamme pentatonique. »

Alza Bordin fait ainsi évoluer sa musique en intégrant les sonorités plus modernes du gwo ka et des percussions pour mieux « rénover » le jazz et la biguine qui bénéficient ainsi d’un vrai bain de jouvence. Dès lors, il travaille avec de nombreux artistes de renom : Lukuber Séjor, Charly Machecler et Éric Godard (tambouyés), Georges Troupé, fondateur de l’école de musique Kimbol (Sainte-Anne) et du groupe du même nom, Olivier Vamur (flûtiste), les formations Oasis et Milflè (Gilbert Coco, Guy Fromager, Swanha Desvarieux …), le pianiste et chef d’orchestre Yvan Juraver avec lequel il fonde le groupe Galta… Figure de la scène musicale marie-galantaise, Alza Bordin est naturellement nommé parrain en 2001 de la deuxième édition du festival Créole Blues, qui ne s’appelle pas encore Terre de Blues.

Sur ce site dédié à la musique, je me suis logiquement arrêté sur les grandes lignes du parcours artistique d’Alza Bordin, mais pour être complet, il importe de rappeler qu’il fut aussi un acteur important de l’action sociale sur son île. Il a donc suivi toutes les formations nécessaires pour devenir éducateur spécialisé, et on lui doit la création en 1992 du CISMAG (Centre d’insertion spécialisée de Marie-Galante). Toujours en activité, la ferme-pilote de Vidon, qui propose de la formation et de l’accompagnement social, de la vente de produits agricoles, de plats cuisinés et des visites, est un bel exemple de son action. En 2010, le GEIQ (Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification des Îles du Sud de la Guadeloupe) voit le jour à Saint-Louis, fruit de sa collaboration avec Jacques Cornano, alors maire de cette ville.

Le 2 décembre 2023, les Capesterriens se rassemblèrent donc en nombre à l’OMCS de Capesterre pour fêter Alza Bordin. Après une prestation de quadrille qui vit le principal intéressé se laisser aller à quelques pas de danse, les élus des trois communes de l’île se succédèrent sur scène pour de traditionnels discours : Jean-Claude Maës (maire de Capesterre), Maryse Etzol (maire de Grand-Bourg et présidente de la Communauté de communes), Jacques Cornano (ancien maire de Saint-Louis et sénateur de la Guadeloupe), ainsi qu’Huguette Ibalot qui représentait le député Olivier Serva. Le sommet de la journée survint juste après. Alors que les membres du groupe Kimbol (au sein on reconnaissait Sonny Troupé au gwo ka) interprétait la chanson Blès é féblès, quelle ne fut pas notre surprise de voir Alza Bordin s’inviter sur scène pour démontrer qu’il avait encore de beaux restes à la trompette. On le disait affaibli par la maladie, nul ne s’y attendait, pas même ses proches, et ce furent vingt-quatre minutes de très vive émotion (que j’ai immortalisées en vidéo, voir lien plus bas).

Le matinée s’est achevée avec la projection d’un montage vidéo sur Alza Bordin dont je suis l’auteur (voir aussi plus bas) et d’un diaporama de Fabienne Condo, membre du groupe Kimbol et directrice de la communication du rectorat de l’académie de Guadeloupe. Après le déjeuner, l’après-midi s’est poursuivie dans une ambiance festive et débridée avec des tambouyés, percussionnistes, chanteurs et danseurs. Enfin, Catherine Sildillia, présidente du Club Soroptimist de Marie-Galante, a remis au nom du conseil départemental un trophée à la famille d’Alza Bordin pour l’ensemble de son œuvre. Pour ma part, avec Pierre Cafournet, premier vice-président de notre association, je représentais également Ambition Marie-Galante (voir ma publication sur Facebook à cette adresse) qui avait contribué à la cagnotte en ligne en faveur d’Alza Bordin.

Pour conclure cet article, je vous propose une sélection d’images et de vidéos tirées de la manifestation, le film que j’ai réalisé à cette occasion et un reportage de Lise Dolmare pour Guadeloupe La 1^ère.
– Musiciens de quadrille – Hommage à Alza Bordin – 3 décembre 2023 – Capesterre-de-Marie-Galante.
– Blès é féblès – Kimbol – Hommage à Alza Bordin – 3 décembre 2023 – Capesterre-de-Marie-Galante. Le groupe Kimbol est donc rejoint par Alza Bordin sur scène, un très grand moment d’improvisation et de ferveur !
– Tambouyés – Hommage à Alza Bordin – 3 décembre 2023 – Capesterre-de-Marie-Galante.
– Alza Bordin par Les Temps du Blues. Film comprenant un portrait du trompettiste par Pierre Cafournet, spécialiste de la musique locale, suivi d’une sélection de trois chansons : une vidéo en public de 1998 avec Alza Bordin, Luc-Hubert Séjor, Éric Godard et Charly Machecler, Blès é féblès, extrait de l’album « SoulBoko » du groupe Milflè (2000) et Bon ti café, extrait de l’album « Same » par « Maestro » Michel Desgrottes (1968). Réalisé en avant-première de l’hommage rendu le 2 décembre 2023 à Alza Bordin par le Club Soroptimist et la commune de Capesterre-de-Marie-Galante.
– « Marie-Galante : le trompettiste Alza Bordin mis à l’honneur », reportage de Lise Dolmare pour Guadeloupe La 1^ère.
Texte, vidéos et photos : © Daniel Léon / Les Temps du Blues.
(1). Né en France, musicien, ethnomusicologue et anthropologue, Jérôme Camal vit aux États-Unis depuis de longues années, où il enseigne au département d’anthropologie de l’université du Wisconsin à Madison. Pour son livre, il a interviewé Alza Bordin le 25 juillet 2009.