Dans le cadre de ma liste de dix disques qui ont selon moi marqué cette année 2023, je vous propose comme numéro 6 une réédition. Mais pas n’importe laquelle car il s’agit de l’impressionnante anthologie « The Memphis Blues Box – Original Recordings First Released 78s and 45s, 1914-1969 », que l’on doit à Bear Family. Les chiffres disent ce qu’ils veulent, mais ils nous sont en l’occurrence bien utiles pour donner une idée de l’ampleur de cette réalisation : 20 CD, 534 chansons, 25 h et 20 min de musique, et un livre illustré de 360 pages ! La sélection débute en 1914, logiquement avec le trompettiste et chef d’orchstre W.C. Handy, qui œuvra au début du siècle dernier à Memphis, ville à laquelle il consacra une de ses plus célèbres compositions dès 1909, The Memphis blues.

Dès les années 1920 qui correspondent aussi aux premiers enregistrements de blues, Memphis, par sa situation géographique très favorable sur l’axe sud-nord (et particulièrement celui qui relie La Nouvelle-Orléans à Chicago), devint une plaque tournante pour les acteurs de cette musique. Le rôle de la grande ville du Tennessee s’étendra ensuite au rock ‘n’ roll et la soul music. Les 10 premiers CD portent essentiellement sur les principaux créateurs des années 1920 et 1930, mais aux côtés des jug bands et d’artistes très connus dont Frank Stokes, Furry Lewis, Memphis Minnie et Robert Wilkins, d’autres dont on ne parle quasiment jamais sont présents : Sadie James, Arah « Baby » Moore, Sadie McKinney, Ollie Rupert, Lemuel Turner, Jenny Pope, Blind Clyde Church, Kaiser Clifton, Will Batts, Little Buddy Doyle, Gene Steele… On relève également quelques titres inspirés par le jazz et le gospel, mais c’est très ponctuel.

Ensuite, la sélection s’arrête sur des enregistrements du label Sun, sur les débuts de B. B. King, de Rufus Thomas, de Bobby Bland, tout en évoquant les nouveaux courants alors naissants dérivés du blues et du R&B, dont évidemment soul blues, soul et bien sûr rock ‘n’ roll avec Elvis Presley et Carl Perkins. Il importe de souligner l’importance et la qualité du livre : outre des photographies inédites, il propose de nombreuses informations (biographies, discographies détaillées, index…), et des textes signés des meilleurs spécialistes dont David Evans, John Broven, Guido Van Rijn, Bob Eagle, Rob Bowman, Steve LaVere, Jim O’Neal, Dick Spottswood… Comme son titre le suggère, la sélection porte sur des singles gravés sur des supports 78 et 45-tours. Ils ont certes été réédités et dispersés sur des compilations (dont bon nombre sont de toute façon épuisées), mais c’est la première fois qu’ils sont ainsi rassemblés dans une seule anthologie, bien sûr de loin la plus complète sur le blues de Memphis qui occupe une place centrale dans l’histoire des musiques qui nous passionnent. Pour conclure, l’ensemble se vend environ 250 euros, ce qui est plutôt raisonnable.

Je vous épargnerai ici la liste des 534 (!) chansons que vous trouverez à cette adresse avec toutes les informations, mais je vous en propose 20, soit une extraite de chaque CD. Et bien entendu, je n’ai pas choisi les plus connues…
Ain’t gonna be your low down dog en 1927 par Ollie Rupert.
Mooch Richardson’s low down barrel house blues en 1928 par Mooch Richardson.
Kyle’s worried blues en 1928 par Charlie Kyle.
Last chance blues en 1929 par Cannon & Woods (Gus Cannon et Hosea Woods).
Number nine blues en 1929 par Blind Clyde Church.
I will meet you at the station en 1930 par les Brother Williams Memphis Sanctified Singers.
Stinging snake blues en 1930 par Madelyn James.
Cash money blues en 1930 par Kaiser Clifton.
Country woman en 1933 par Will Batts.
Hard scufflin’ blues en 1939 par Little Buddy Doyle.

Just a little of the blues en 1939 par Gene Steele.
Get ready to meet your man en 1945 par James (Beale Street) Clark.
She really treats me wrong en 1951 par Lou Sargent & his Orchestra.
I wronged a woman en 1953 par Earl Forest.
Still feelin’ sad en 1952 par le Ford Nelson Quintet.
Every monday morning en 1952 par Walter « Tang’ » Smith.
The snuggle en 1954 par Raymond Hill.
You gotta help me some en 1957 par Chester Guydon.
Mop bop boogie en 1957 par Wilbur Steinberg.
I’m gone en 1967 par Big Amos (il s’agit de Big Amos Patton, neveu de Charlie…).
Photos © : Bear Family Records.