Quand on cite le chanteur-guitariste John Cephas, on pense inévitablement au duo qu’il forma durant plus de trente ans avec son ami harmoniciste Phil Wiggins, dans le style du blues de la Côte Est ou Piedmont Blues. Cephas voit le jour le 4 septembre 1930 à Washington, D.C. dans le quartier historique de Foggy Bottom, un des premiers de la région à voir arriver les colons européens dès 1763. Sa mère, Sylvia Dudley Cephas, chante à l’église, et son père, Ernest Cephas, qui est pasteur baptiste, joue également un peu de guitare, et John a aussi un frère qui chante. Autrement dit, il se trouve très vite immergé dans un univers musical. Certes, ses parents sont par principe réfractaires au blues mais ils savent aussi faire preuve de tolérance.
En 1989, dans une interview accordée au National Endowment for the Arts (qui lui remet cette année-là un National Heritage Fellowship, plus haute distinction dans le domaine des arts et des traditions populaires aux États-Unis), il revient sur cette période de sa vie, quand il avait alors sept ou huit ans : « Ma mère allait régulièrement à l’église et nous emmenait souvent pour chanter. La plupart du temps, ça se passait à l’église, on formait un duo avec mon frère, sans accompagnement. » Parallèlement, il emprunte en cachette la guitare de son père et commence à jouer : « Je ne pense pas qu’ils [mes parents] aient vu d’un mauvais œil le fait que je joue du blues ou que je veuille en jouer. Ils n’étaient pas contre, mais pas question d’aller dans des bars clandestins, des restaurants ou autres lieux mal réputés. Ils me mettaient en garde sur ces endroits. »
D’autres membres de sa famille vont infléchir son parcours vers le blues alors qu’il vit désormais à Bowling Green en Virginie (ce qui lui vaudra le surnom de « Bowling Green » John Cephas), à commencer par sa tante Lillian Dixon et son grand-père maternel John Dudley quand il a huit ou neuf ans. Selon Barry Lee Pearson sur son excellent site « Contemporary Acoustic Roots & Country Blues » (lecture très recommandée de son article sur John Cephas), ils l’initient progressivement à la vie nocturne de cette région très rurale, au « circuit » des house parties, lui apprennent des chansons… Quant à son cousin David Talliaferro, un excellent guitariste, il l’aide ensuite à façonner son jeu si caractéristique du Piedmont Blues, qu’il décrit ainsi : « [Cela implique] l’alternance du pouce et du fingerpicking en marquant constamment les basses avec le pouce. Je m’appuie sur la mélodie ou les paroles avec en même temps les doigts sur les cordes aigues. C’est un peu comme si la guitare parlait, comme si elle relayait vos sentiments ou les paroles, avec cette basse régulière qui soutient en apportant à la fois un rythme sautillant et un sonorité entraînante. »
Au début des années 1950, Cephas, qui chante aussi dans le groupe de gospel The Capitol Harmonizers, est appelé sous les drapeaux et sert durant la guerre de Corée. Ses obligations militaires achevées, il ne cherche pas à vivre de la musique, exerce comme pêcheur puis comme menuisier pour l’armurerie de la Garde nationale, mettant sa carrière musicale entre parenthèses. Il la relance toutefois dans les années 1970 en rencontrant Wilbert « Big Chief » Ellis, un chanteur-pianiste de l’Alabama qui enregistra avec Sonny Terry et Brownie McGhee dans les années 1950. Lors du Smithsonian Folklife Festival en 1976, Ellis forme un groupe, les Barrelhouse Rockers, avec Cephas, le bassiste James Bellamy et le chanteur-harmoniciste Phil Wiggins. L’année suivante, Ellis retourne dans l’Alabama où il décède d’une crise cardiaque.
Comme Cephas, Wiggins est natif de Washington, D.C., mais il a vingt-quatre ans de moins. Malgré cette différence d’âge, les deux artistes décident de s’associer pour former ce qui deviendra le duo le plus excitant de l’histoire du blues d’une région pourtant prodigue en la matière depuis Sonny Terry et Brownie McGhee. En 1976, John Cephas apparaît sur quatre chansons (uniquement comme guitariste) de l’album d’Ellis « Big Chief Ellis » chez Trix, avec également Tarheel Slim et Brownie McGhee. Ensuite, la carrière de Cephas et Wiggins se confond. En 1980, ils sont enregistrés par Axel Küstner et Siegfried Christmann, et leur premier album (sous les noms de Bowling Green John et Harmonica Phil Wiggins from Virginia), « Living Country Blues USA – Original Field Recordings Vol. 1 », sort l’année suivante chez L+R. Puis, en 1982, toujours grâce aux Allemands du label L+R, ils participent à la tournée de l’American Folk Blues Festival et se font donc connaître du public européen. Un nouvel album paraît chez L+R en 1983 « Sweet Bitter Blues », puis d’autres pour des marques moins bien diffusées dont Marimac et Flying Fish, qui sont néanmoins excellents.
Entre-temps, Cephas a pris sa retraite en 1987, ce qui lui permet de s’investir totalement dans la musique. Les deux bluesmen, qui font partie des derniers représentants dans leur genre, sont très respectés et jouissent d’une popularité planétaire qui leur vaut d’être au programme des plus prestigieux festivals. Comme souvent, Bruce Iglauer du label Alligator ne manque pas de relever leur potentiel, ce qui se traduit par quatre albums entre 1995 et 2006, « Cool Down », « Homemade », « Somebody Told the Truth » et « Shoulder to Shoulder ». En 2000, Bullseye sort aussi une compilation de titres enregistrés entre 1984 et 1992, « From Richmond to Atlanta ». Enfin, le 29 juillet 2008, Smithsonian Folkways proposera « Richmond Blues ». Environ six mois plus tard, le 4 mars 2009, John Cephas nous quittera à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Comme toujours, quelques chansons en écoute s’imposent…
– Fare you well mistreater en 1976 par Big Chief Ellis avec John Cephas.
– Black rat swing en 1980 par Cephas & Wiggins.
– Burn your bridges en 1982 par Cephas & Wiggins.
– Dog days of August en 1986 par Cephas & Wiggins.
– Backwater blues en 1995 par Cephas & Wiggins.
– Foregiveness en 2002 par Cephas & Wiggins.
– I did do right en 2006 par Cephas & Wiggins.
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