© : Why I Love National Guitars.

L’année de sa fondation en 1994, la Music Maker Relief Foundation a sorti une compilation intitulée « A Living Past », sur laquelle on découvrait des artistes dont certains de viendront en quelque sorte des « piliers » de la fondation, dont Guitar Gabriel, Captain Luke et Macavine Hayes. La sélection se complétait avec d’autres de moindre notoriété, parmi lesquels Willa (parfois Willie) Mae Buckner, chanteuse et multi-instrumentiste (guitare, banjo, ukulele, basse, piano), dont le parcours fut pour le moins original, comme nous allons le voir. Elle figure donc parmi les premières artistes à bénéficier de l’aide de la fondation de Tim Duffy, qui paya certaines factures comme ses charges (eau, électricité, gaz…), ses médicaments, mais aussi la nourriture de ses serpents ! Car la dame ne se séparait jamais de ses pythons y compris sur scène, elle en posséda jusqu’à trente-six ! On l’affubla logiquement du surnom (entre autres) de Snake Lady.

© : Music Maker.

Mais commençons par le commencement. Willa Mae Buckner naît le 15 juin 1922 à Augusta, troisième plus grande ville de Géorgie après Atlanta et Columbus. Elle fugue à douze ou treize ans dans l’année qui suit la mort de sa mère, prend la route et passe un an chez un oncle à Winston-Salem. Peu après, à quatorze ans, elle est engagée comme danseuse dans un minstrel show ou un tent show, les sources varient à ce propos. Elle affirmera avoir vu Ida Cox et surtout Ma Rainey, ce qui est crédible car cette dernière, décédée en 1939, a vécu ses dernières années à Columbus. En tout cas, l’adolescente se dévergonde et commence même à chanter pour un public qui en raffole des dirty blues (blues grivois), toujours sur le circuit itinérant.

© : Pinterest.

Buckner apprend le piano en 1943 et continue de se produire, élargissant son spectre de façon inattendue à des spectacles de strip-tease, mais aussi comme avaleuse de sabres et cracheuse de feu ! Après la Seconde Guerre mondiale, elle s’installe à Spanish Harlem (New York) et travaille comme couturière, femme de ménage et dans des restaurants, tout en prenant des cours du soir pour apprendre des langues étrangères, elle en parlera finalement sept… Elle n’a jamais totalement abandonné la musique et se met à la guitare plutôt tardivement, à trente-cinq ans. En 1964, lors de la foire internationale à New York, un montreur de serpents marocain est à l’origine d’une nouvelle vocation, et lui aurait fait dire (selon un article de No Depression publié le 1er mars 2000) : « Si cet homme est venu dans mon pays pour se faire de l’argent en montrant des serpents, je dois pouvoir en faire autant. »

Gary Dumm / Music Maker.

Sa carrière emprunte donc une voie inattendue qui commence, toujours selon No Depression, par l’achat de vingt-huit serpents, d’un camion et d’un chapiteau pour lancer un nouveau genre de spectacle itinérant… ou plutôt de foraine ! Pour garantir son succès, Willa s’affuble de surnoms à sensation, comme Princess Ejo, The Wild Enchantress ou The World’s Only Black Gypsy. Elle continue de faire ponctuellement du strip-tease dans les années 1960, mais de façon plus suggestive en utilisant les serpents pour cacher certaines parties de son corps. Avec l’âge, sans abandonner ses reptiles, elle donne de plus en plus de place à la musique et se fixe à Winston-Salem (où elle est conductrice de bus !), puis elle est découverte par Tim Duffy en 1989, qui l’enregistrera donc cinq ans plus tard pour Music Maker, à soixante-douze ans. La même année, la fondation lui permet de réaliser un rêve d’enfance, se produire au Carnegie Hall (né après avoir vu Ida Cox qui avait chanté dans la même salle mythique en 1939 pour le second concert « From Spirituals to Swing »)… En fait, Willa Mae Buckner a enregistré seulement deux chansons (courtes, en plus !), Peter Rumpkin et Yo-yo, dans le registre traditionnel du Country Blues de la Côte Est épicé « à la sauce » dirty blues ! Mais elle est restée une figure de Music Maker avec laquelle elle tournera abondamment, avant de décéder le 8 janvier 2000 à soixante-dix-sept ans. Et son parcours singulier méritait bien d’être évoqué…

© : Tim Duffy.