Bien plus connue pour sa carrière dans le jazz, Jewel Brown apparut toutefois également à son avantage sur la scène R&B et blues, il est vrai plutôt tardivement dans le second cas, en particulier aux côtés du guitariste et chef d’orchestre Milton Hopkins. Il me semble donc légitime de lui rendre hommage ici. La nouvelle de son décès, survenu avant-hier 25 juin 2024 après un traitement contre un cancer du côlon, a été depuis confirmée par de nombreuses sources concordantes. Elle avait quatre-vingt-six ans. Elle naît le 3 août 1937 à Houston, Texas, et grandit dans le Third Ward, un quartier afro-américain de la ville (dont les « frontières précises sont néanmoins difficiles à établir), et dont un des plus célèbres résidents fut bien sûr Lightnin’ Hopkins…
Brown suit une scolarité normale et débute sans surprise en chantant du gospel dans une église (la Rosehill Baptist Church), et selon le site « All About Jazz », elle se produit même dès l’âge de neuf ans après avoir gagné un concours de chant, cette fois dans le proche Fourth Ward (Houston compte six « Wards » historiques), où les Afro-Américains étaient également très présents, surtout jusque dans les années 1920. Et trois ans plus tard, en 1949, à seulement douze ans, elle décroche un premier engagement au Manhattan Club à Galveston, une ville au sud-est de Houston sur le golfe du Mexique. La voici ainsi chanteuse professionnelle tout en continuant d’aller au lycée ! Elle ne néglige donc pas sa scolarité, mais après avoir accompagné Lionel Hampton lors d’une tournée l’année de sa terminale et l’obtention de son diplôme (l’équivalent du bac), elle opte pour une carrière musicale.
Et les choses vont dès lors très vite. Elle apparaît dans des clubs dans le groupe de son frère, qui comprend aussi sa mère. En 1955 (sans plus de précisions), elle grave cinq faces pour Duke avec l’orchestre d’Eddie « Tex » Curtis, dont deux sont éditées, Where do I go from here et No, you can’t kiss me no more, puis quatre autres sous son nom pour Liberty, I ain’t givin’ up nothing, Looking back, If you have no real objections et I must be dreaming. Curtis (Edwards Evans Curtis, Jr.), qui deviendra son mari, fut un pianiste et surtout parolier de renom, il a ainsi écrit ou coécrit It should’ve been me (enregistré par Ray Charles en 1953) et Lovey dovey (The Clovers en 1954). Parallèlement, Jewel Brown chante dans des clubs de plus en plus importants aux États-Unis, dont certains appartiennent à Jack Ruby, oui, celui-là même qui abattit Lee Harvey Oswald le 24 novembre 1963, deux jours après l’assassinat par ce dernier de John Fitzgerald Kennedy.
Mais avant cela, en 1961, Jewel Brown était entrée dans la formation de Louis Armstrong. Elle y restera jusqu’en 1968 quand le jazzman commença à faire face à des problèmes de santé. Après la mort d’Armstrong en 1971, la chanteuse met sa carrière musicale entre parenthèses, d’abord pour s’occuper de ses parents, puis pour ouvrir un salon de coiffure et de beauté tout en exerçant le métier d’agente d’assurances ! Un album sort toutefois en 1988 chez Fantasy, « Show Time », qu’elle partage avec les jazzmen Arnett Cobb et Dizzie Gillespie, et sur lequel on l’entend sur deux chansons, This bitter earth et Time after time. Et bien entendu, Jewel Brown n’avait jamais totalement cessé de chanter, notamment localement dans sa ville natale. Et quand vint l’âge de la retraite (en 2000), elle reprit une activité plus soutenue dans le secteur, tout en s’orientant plus vers le blues.
Cela ne se traduit pas en termes discographiques avant 2012 (Brown est alors âgée de soixante-quinze ans), quand elle sort chez Dialtone Records en compagnie de Milton Hopkins l’album « Milton Hopkins & Jewel Brown », qui leur vaut l’année suivante une nomination aux Blues Music Awards dans la catégorie de la meilleure chanteuse contemporaine de blues (ou Koko Taylor Award). Autre natif de Houston, Milton Hopkins (cousin de Lightnin’ Hopkins) n’est pas un faire-valoir : pendant quelque dix ans à partir de 1971, il œuvre comme guitariste au sein du groupe de B.B. King ! En 2014, Brown signe un album avec Bloodest Saxophone chez Mr. Daddy-O Records, au registre plus large (blues, jazz, R&B), « Roller Coaster Boogie ». Enfin, l’an dernier, à quatre-vingt-cinq ans, grâce au producteur Nic Allen et à Blind Raccoon, elle a enregistré un ultime album sur lequel elle démontre une verve vocale étonnante.
Passons maintenant à notre sélection de chansons en écoute.
– No, you can’t kiss me no more en 1955 (YouTube mentionne 1954) par Eddie « Tex » Curtis avec Jewel Brown.
– I ain’t givin’ up nothing en 1955 par Jewel Brown.
– Did you hear about Jerry en 1963 par Jewel Brown.
– I left my heart in San Francisco en 1964 par Jewel Brown avec Louis Armstrong.
– I’m shakin’ en 2012 par Jewel Brown avec Milton Hopkins.
– Kaimono boogie en 2014 par Jewel Brown avec Bloodest Saxophone.
– Which way is up en 2023 par Jewel Brown.
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