Le 24 janvier 2024, j’avais consacré un article à l’anthologie « Song Keepers – A Music Maker Foundation Anthology » (4 CD, 85 chansons, un livre de 143 pages), sortie pour marquer les trente ans de la fondation Music Maker. Mais c’est bien connu, de tels anniversaires ne se fêtent pas nécessairement un jour précis, mais bien souvent toute l’année… Et ce 4 avril 2024, la Music Maker Relief Foundation a publié un communiqué on ne peut plus explicite, qui dit : « Music Maker turns 30 today! » (« Music Maker a 30 ans aujourd’hui ! »). Une interview à ce propos de Tim et Denise Duffy, fondateurs de Music Maker en 1994, est disponible à cette adresse. Sans retracer une nouvelle fois l’histoire de cette fondation et évoquer l’importance de son rôle (je l’ai déjà fait, notamment dans l’article cité plus haut), l’occasion est belle d’en reparler en ce 4 avril, d’autant que cela correspond à d’autres événements liés à cette date.
Ainsi, le 4 avril 1929 est la date de naissance de John Dee Holeman, artiste phare de la fondation pour laquelle il a enregistré cinq albums entre 1999 et 2019. Vous trouverez un article biographique sur le site de Music Maker à cette adresse, avec également des chansons en écoute et une vidéo. Holeman, qui nous a quittés en 2021, était un chanteur-guitariste (mais aussi danseur de buck dance, dérivée des claquettes) originaire d’Hillsborough en Caroline du Nord. Sa musique était ancrée dans le Piedmont Blues, mais quand il utilisait une guitare électrique, il s’en écartait souvent et s’exprimait dans un style plus proche du Mississippi, très expressif et hautement excitant. Pour ma part, j’avais chroniqué dans le numéro 234 de Soul Bag (il sera ensuite en couverture du numéro 237 à l’occasion des vingt-cinq ans de Music Maker) son album « Last Pair of Shoes » : alors âgé de quatre-vingt-dix ans, Holeman signait sans doute là son meilleur disque ! Vous trouverez à la fin de cet article le texte intégral de ma chronique dans Soul Bag.
Tim Duffy a récemment rendu visite à un autre de ses « protégés », Little Freddie King à La Nouvelle-Orléans. Là encore, un article sur le site permet de mieux faire connaissance avec ce chanteur-guitariste aujourd’hui âgé de quatre-vingt-trois ans. Et Tim Duffy annonce dans son communiqué qu’il envisage d’enregistrer un album avec Little Freddie King… Enfin, ce 4 avril 2024 voit l’annonce de la sortie de l’album « Out in La La Land » de Martha Spencer. Cette chanteuse et multi-instrumentiste ne fait pas dans le blues, elle représente en effet la culture folklorique des Appalaches, mais il importe aussi de rappeler que la fondation Music Maker œuvre en faveur de la préservation de nombreuses formes de musiques traditionnelles.
CHRONIQUE (SOUL BAG #234)
JOHN DEE HOLEMAN
« LAST PAIR OF SHOES »
John Dee Holeman est né le 4 avril 1929. On est certes habitués aux bluesmen actifs à un âge très avancé, mais le nonagénaire subjugue avec sa vitalité sur base de guitare rythmique grondante et d’énorme voix rocailleuse bien assurée. L’énergie qu’il dégage est encore accentuée par des accompagnateurs qui densifient « l’édifice » : Tad Walters (hca, g) joua avec Bob Margolin et Big Bill Morganfield, Harvey Dalton (b) fut membre du groupe de rock sudiste The Outlaws, Chuck Cotton (dm) travailla lui aussi avec Margolin, et James « Bubba » Norwood (dm) fut le batteur d’Ike & Tina Turner dans les années 1960 ! Dès l’ouverture (Chapel Hill boogie), la vague déferle brutalement, presque bestialement, et le phénomène se reproduit sur les autres tempos enlevés comme Dig myself a hole ou Mojo Hand. Et les blues lents sont d’une rare épaisseur : She moves me, Shotgun blues (avec en plus de l’originalité apportée par l’orgue de Chuck Robinson et Walters au chromatique), Give me back my wig et Two trains, quasi recueilli… Alors bien sûr, Holeman réadapte beaucoup de choses connues, mais il les pèle, les dépouille et les hache menu pour les faires siennes. De même, d’aucuns relèveront que la plupart de ces morceaux figurent déjà sur ses disques passés. Certes, mais il s’agissait de versions acoustiques et électro-acoustiques, qui sont servies ici plus saignantes au sein d’un groupe bien plus électrique. Même si Holeman s’inspire du Piedmont blues, la musique qu’il propose emprunte pêle-mêle à Chicago, au Hill Country Blues et à T-Model Ford… Nous voilà face à un album qui devrait s’inscrire parmi les plus inattendus et les plus excitants de l’année. Un blues hors d’âge par un artiste qui aura donc attendu d’avoir 90 ans pour probablement signer son meilleur disque.
© : Daniel Léon / Soul Bag.
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