© : The Joey Gilmore Band.

Mon emploi du temps ne m’a pas permis de m’arrêter comme je le souhaitais sur le parcours de certains artistes récemment disparu. Je tenais toutefois à le faire, en commençant aujourd’hui par Joey Gilmore, chanteur-guitariste qui fut actif en Floride. Joshua Gilmore Jr. naît d’ailleurs dans une ville au centre-nord de cet État, Ocala, le 4 juin 1944. Il perd sa mère très jeune, à cinq ans, et son père l’abandonne peu après avec ses sept frères et sœurs qui sont placés chez différents membres de la famille. La musique devient vite un refuge, comme il l’avouait en 2013 dans une interview publiée sur le site Long Play Miami : « J’ai commencé à taper sur des boîtes de conserve, des seaux, des barriques et d’autres choses. Sur tout ce qui passait à ma portée. »

Frank Williams & The Rocketeers en 1962. Joey Gilmore est le deuxième en partant de la gauche. © : Long Play Miami.

Il débute d’ailleurs à la batterie à l’école et découvre ce qui deviendra son instrument de prédilection dans des conditions assez rocambolesques, en se rendant dans un salon de coiffure tenu par un pasteur qui joue de la guitare électrique. Gilmore apprend seul et écoute du blues à la radio, ce qui fait naître sa vocation, comme il l’expliquait en 2017 dans Blues Blast Magazine : « J’ai entendu B.B. King et j’ai contracté le virus du blues. Oh mon dieu ! J’avais douze ou treize ans et je savais que j’allais alors vivre avec le blues. J’ai décidé de former un petit groupe avec quelques musiciens locaux, un batteur qui s’appelait Johnny Griffin et son frère Sam qui jouait de la trompette. » Gilmore a seulement quatorze ans, mais la formation est suffisamment compétente pour se produire et ses membres s’aperçoivent que l’activité peut rapporter (Blues Blast) : « On a découvert que les gens aimaient voir les petits gars de leur ville dans un groupe du coin, et que l’on pouvait gagner un peu d’argent sans devoir aller cueillir des haricots dans les champs. »

© : Discogs.

Gilmore obtient son diplôme de fin d’études (l’équivalent du bac) en 1962, alors qu’il vit désormais à Groveland, environ 90 kilomètres au sud de sa ville natale. Il reçoit un appel de son beau-frère à Miami, qui l’informe que le saxophoniste de soul et de funk Frank Williams cherche un guitariste pour son groupe, les Rocketeers. Gilmore saute dans un bus et arrive à Miami un dimanche, pour apprendre que Williams n’a pas besoin d’un guitariste mais d’un bassiste ! Il a trois jours pour s’y mettre car la formation doit jouer le mercredi suivant au Cafe Society. Malgré cela, il y parvient, d’autant que la basse ne lui est pas étrangère (Long Play Miami) : « Chez moi, j’avais l’habitude de m’installer sur mon porche avec mon tourne-disques, une pile de disques et mon amplificateur sur lequel je coupais tous les aigus, je ne gardais que les basses. Je poussais le volume des basses à fond pour obtenir un son percutant. Puis je prenais ma guitare, je l’accordais et je m’asseyais pour jouer les lignes de basse de toutes les chansons. »

En 2015. © : JSkolnick Photography.

Après deux ans comme bassiste au sein des Rocketeers, Gilmore effectue son service militaire à partir de 1964. À son retour, il retrouve Williams qui lance un groupe appelé The Rocketeers n° 2, au sein duquel il tient la guitare et commence également à chanter. Il se produit dans les clubs de la ville, côtoie et accompagne de temps en temps des artistes de passage. Son abnégation lui permet d’enregistrer un premier single en janvier 1971 pour le label Saadia de Frank Williams, Somebody done took my baby and gone/Do it to me one more time, suivi d’un autre la même année, Girl your best friend done took your place/Blind man (sur lequel son nom est orthographié Gillmore…). Ces chansons sont ancrées dans la soul de l’époque mais Blind man est résolument blues, et toutes mettent en avant la voix magnifique un peu voilée de Gilmore.

© : Discogs.

L’artiste poursuit sa carrière et sort d’autres singles, notamment pour Blue Candle qui sort aussi son premier album en 1977, « Joey Gilmore ». Mais le succès ne suit pas et le suivant, « … So Good to Be Bad » chez Pandisc, sort en 1989. Mais entre-temps, Gilmore a fait évoluer sa musique vers le blues, et ce disque très inspiré de B.B. King lui vaut une nouvelle reconnaissance et même une longue tournée… en Suisse ! En 1993 puis 1995, « Can’t Kill Nothin’ » et « Just Call Me… Joey » sortent chez Wilbe, mais ces deux albums sont distribués par Ichiban. Grâce à cela, il peut cette fois tourner en Europe où ses prestations laissent d’excellents souvenirs. Durant les années 1990, Gilmore est un bluesman respecté et très demandé.

En 2018, TY Park, Hollywood, Floride. © : Carl Lender.

Malheureusement et inexplicablement, cela ne se traduit pas en termes discographiques. En 2006, Gilmore remporte l’International Blues Challenge à Memphis dans la catégorie « Groupes ». L’année précédente, il s’était déjà imposé avant d’être disqualifié (au profit de Diunna Greenleaf) : il avait en effet réalisé son album « Just Call Me… Joey » neuf mois et demi plus tôt, alors que l’on ne peut participer au challenge si on a enregistré un disque au niveau national dans les dix ans qui précèdent l’événement… Entre 2005 et 2016, il signe quatre albums supplémentaires honorables, mais on regrette que ce bluesman talentueux n’ait pas bénéficié de tout l’éclairage qu’il méritait. Joey Gilmore nous a donc quittés le 29 juillet 2024 à l’âge de quatre-vingts ans.

© : Ted Nicholas.

Passons maintenant à notre sélection de chansons en écoute.
Somebody done took my baby and gone en 1971.
Blind man en 1971.
It’s my own fault en 1975.
If he can do it so can you en 1976.
So good to be bad en 1989.
Can’t kill nothin’ en 1993.
Bit off more than I could chew en 1995.
Ghosts of Mississippi en 2005.
Wishing well en 2008.
Cold, cold feeling en 2015.

© : Discogs.