Delano Middleton, Samuel Hammond, Jr et Henry Smith, qui laissèrent la vie lors du massacre d’Orangeburg. © : BuzzFeed News.

Orangeburg est une petite ville d’environ 13 000 habitants située dans le comté d’Orange en Caroline du Sud. Bien que très éloignée des principaux centres urbains de l’État, Orangeburg occupe une place importante dans l’histoire des Afro-Américains, dans le domaine culturel mais également lors de la lutte pour les droits civiques. Le 8 février 1968, elle fut le théâtre d’un épisode parmi les plus sanglants de la répression de ce mouvement, connu sous le nom de massacre d’Orangeburg. Le campus de l’université d’État de Caroline du Sud accueille alors un bowling (All-Star Bowling Lane), très prisé des étudiants mais interdit aux Afro-Américains. Depuis des mois, ces derniers demandent au propriétaire, Harry K. Floyd, de leur donner l’accès au bowling, une requête vaine.

© : Voices of the Civil Rights Movement.

Le 5 février 1968, quarante étudiants entrent dans le bowling puis le quittent pacifiquement à la demande de Floyd. La tension monte durant les jours suivants. Le 6 février, les protestataires sont plus nombreux à se rendre au bowling, où la police les attend et procède à plusieurs arrestations. Une fenêtre du bowling est brisée, les heurts se font plus violents et les policiers frappent à coups de matraque les étudiants dont huit sont hospitalisés. Les protestataires, qui sont désormais deux cents, se rassemblent sur le campus et demandent la fin de ségrégation et de la discrimination raciale. En réponse, le gouverneur Robert E. McNair, persuadé que le groupe est infiltré par des activistes du Black Power, appelle la Garde nationale.

© : Historical Markers.

Au soir du 8 février 1968, les étudiants allument un feu de joie à l’entrée du campus. La police et les pompiers tentent d’éteindre l’incendie quand un agent est blessé par un lourd morceau de bois (un élément d’une rampe) tiré d’une maison inoccupée et jeté dans sa direction. Cinq minutes plus tard, les policiers, armés de carabines, de fusils et de revolvers, tirent sur les militants. La plupart sont atteints dans le dos alors qu’ils essaient de s’enfuir. Le bilan est très lourd. On compte vingt-sept blessés et surtout trois morts, Samuel Hammond Jr. (18 ans), Henry Smith (19 ans) et Delano Middleton (17 ans), ce dernier abattu alors qu’il était assis sur l’escalier du dortoir en attendant sa mère. Tous sont afro-américains. Contre toute logique et sans preuve, le gouverneur continue d’impliquer de prétendus agitateurs du Black Power. Le procès fantoche qui suit reconnaît l’usage excessif de la force de la part de neuf policiers, qui se défendent en disant qu’ils se sont sentis menacés, ce que contredisent les témoignages, mais ils sont acquittés ! En revanche, en 1970, Cleveland Sellers, un des militants, blessé au coude gauche par la police, est condamné pour incitation à l’émeute. Il purge sept mois de prison (durant lesquels il écrit un livre témoignage) avant d’être libéré pour bonne conduite.

La Garde nationale le 8 février 1968 lors du massacre d’Orangeburg. © : History.

Le massacre d’Orangeburg nous rappelle le climat d’injustice et de violence qui régnait à l’égard des Afro-Américains à la fin des années 1960, il y a peine plus d’un demi-siècle. Nous ne saurions le passer sous silence sur ce site. Nous n’avons pas choisi les événements d’Orangeburg au hasard, d’autant que nous sommes en plein Black History Month. Colonisée dès 1704, cette terre très fertile profita des esclaves africains sur ses plantations de coton. Peu après la guerre de Sécession, en 1869, Orangeburg vit la fondation de la Claflin University, la première université noire de Caroline du Sud, puis en 1896 celle de l’université d’État de Caroline du Sud, ce qui est exceptionnel pour une ville de cette taille. Les Afro-Américains y furent toujours majoritaires, et aujourd’hui, ils représentent encore plus de 75 % de le population de la ville.

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Dès lors, la petite ville a vu naître et/ou étudier dans ses prestigieux établissements des personnalités dans de nombreux domaines comme la politique, le sport et bien entendu la culture sous toutes ces formes. Par exemple, Cecil J. Williams, né le 26 novembre 1937 à Orangeburg, célèbre photographe des droits civiques dans les années 1950 et 1960, qui devint conservateur du Cecil Williams South Carolina Civil Rights Museum lors de sa fondation. Enfin, car il est temps d’y venir, Orangeburg est aussi liée à la musique afro-américaine : le chanteur et compositeur Don Covay (soul, R&B), le saxophoniste John C. « Johnny » Williams (jazz, soul, blues) et le chanteur-guitariste Sollie Jennings (blues) sont nés à Orangeburg, et les artistes de gospel Kebra Moore et Bryan Andrew Wilson sont diplômés de Claflin. Pour illustrer cet article, voici quelques chansons en écoute, livres et documentaires.

Sollie Jennings. © : Lisa B. Stokes.

À écouter
Mercy, mercy par Don Covay en 1964, probablement avec Jimi Hendrix à la guitare.
Chain of fools par Aretha Franklin en 1967, une chanson écrite par Covay qui vaudra un Grammy à Aretha.
Little girl, don’t you know par T-Bone Walker en 1968 , avec John C. « Johnny » Williams au saxophone.
Concert par Sollie Jennings en 2021.

À lire
The River of No Return: The Autobiography of a Black Militant and the Life and Death of SNCCpar Cleveland Sellers avec Robert Terrell (University Press of Mississippi, 1990).
Blood & Bone: Truth and Reconciliation in a Southern Town par Jack Shuler (University of South Carolina Press, 2012).
The Orangeburg Massacre par Jack Bass et Jack Nelson (Mercer University Press, 1996).

À voir
Scarred Justice: The Orangeburg Massacre par Bestor Cram (2008).