Il y a tout juste un siècle, le 29 août 1924, naissait Ruth Lee Jones, qui adoptera ensuite le nom de scène de Dinah Washington. Dinah est ma chanteuse préférée. J’aime la qualifier de meilleure chanteuse de blues de l’histoire du jazz, une formule que j’ai déjà employée et que j’utiliserai encore, sans en revendiquer un seul instant la paternité. Mais je n’en vois pas de mieux adaptée pour rendre hommage à la voix unique de Dinah, sensuelle, suggestive, instinctive… Ce sont les mots que j’ai choisis (mais ils ne sauraient suffire) pour introduire l’article dont Soul Bag a bien voulu me confier la rédaction, et que vous pourrez lire dans le prochain numéro (256) à paraître dans une quinzaine de jours. Dès lors, je ne vais certes pas faire un copier/coller d’un article en outre pas encore paru, ça énerverait le rédac’ chef de Soul Bag ! Je vous propose donc de retracer brièvement les grandes lignes de la carrière de Dinah Washington, puis une sélection étendue de ses chansons, à mes yeux le meilleur moyen de rendre hommage à cette vocaliste essentielle du siècle dernier.
Ruth Lee Jones voit donc le jour le 29 août 1924 à Tuscaloosa, Alabama. En 1928, sa famille s’installe à Chicago, et peu après, la fillette commence à chanter à l’église avec sa mère très pieuse, tout en apprenant à peu près au même moment le piano. Son talent précoce se confirme rapidement, comme chanteuse de gospel même si elle est également fascinée par Billie Holiday. Puis les événements s’accélèrent. Ruth participe à des récitals avec sa mère, avant d’être remarquée par Sallie Martin qui l’intègre en 1940 à ses Sallie Martin Singers, premier groupe de gospel féminin tout juste créé. La même année, elle gagne un concours de chant en reprenant une chanson de Billie Holiday, et débute réellement dans un club de jazz à Chicago, le Dave’s Cafe.
Encore adolescente mais ambitieuse et sûre de son talent, elle parvient à attirer l’attention de Lionel Hampton qui l’engage dans son big band ! Nous sommes en 1942, Ruth a dix-huit ans, et compte tenu de son potentiel, son entourage lui suggère un nom qui sera plus « vendeur », Dinah Washington. Le 29 décembre 1943, elle grave ses quatre premières faces chez Keynote qui sortent en mars 1944 et entrent d’emblée dans le top 10 des charts de Billboard. Bien que réalisées avec l’orchestre de Hampton, ces chansons se distinguent par le phrasé blues déjà caractéristique et inimitable de la chanteuse. Désireuse de chanter davantage, elle se sépare du célèbre jazzman l’année suivante. Au sein de la formation du saxophoniste Lucky Thompson (avec le Milt Jackson et Charles Mingus !), elle signe en décembre 1945 chez Apollo douze faces exceptionnelles.
À vingt et un ans, Dinah Washington est une star, signe chez Mercury et une enquête du Chicago Defender la place au niveau d’Ella Fitzgerald et Billie Holiday, autrement plus expérimentées qu’elles. En 1948, elle atteint la première place des charts avec Am I asking too much, et d’autres Top 3 suivent dont un dirty blues dont elle avait le secret, Long John blues (1949). Jusqu’en 1954, plusieurs de ses chansons se hissent chaque année dans le Top 15 des charts. Un succès qui ne se dément pas quand elle s’associe avec un jeune producteur du nom de Quincy Jones. Leur collaboration, qui marque un retour vers le jazz de Dinah, se poursuivra jusqu’en 1961, sera très prolifique et de très grande qualité. Ce qui n’empêche pas la chanteuse d’enregistrer aussi des choses dites plus « pop » (What a diff’rence a day makes en 1959), mais avec le recul, on mesure combien une telle voix pouvait tout sublimer…
En 1961, Dinah quitte Mercury au profit de Roulette, et sort de nombreux disques sur lesquels elle démontre son ancrage profond dans le blues (elle s’autoproclamait « Queen of the Blues »), dont le superbe testament « Back To The Blues » en 1963. Mais Dinah ne parvient pas à se défaire complètement de certains démons. Si son œuvre artistique est exemplaire, ce n’est pas le cas de sa vie personnelle. Incapable d’entretenir une relation durable (elle eut toutefois deux fils), elle se maria huit fois, sans doute un record compte tenu de la brièveté de sa vie. Mais elle était incapable de vivre seule, chose hélas difficilement compatible pour une artiste qui tournait constamment. Certaines de ses unions ne dépassèrent pas trois mois. Elle souffrait également d’un complexe, se trouvait trop « grosse », ce qui la hantait et l’empêchait de bien dormir, et cherchait par tous les moyens à perdre du poids. Et au petit matin du 14 décembre 1963, le pire survint : son huitième mari, Dick « Night Train » Lane, la trouve inconsciente au pied de leur lit. Le résultat de l’autopsie me serre toujours le cœur : surdose de médicaments pour maigrir et de somnifères. Dinah Washington avait trente-neuf ans. Pour revenir à mon article dans Soul Bag, j’ai proposé comme titre « L’inoubliable ». Titre que la revue a retenu. Merci, Soul Bag.
Ça mérite bien trente chansons en écoute…
– Evil gal blues en 1943.
– Homeward bound en 1943.
– Salty papa blues en 1943.
– I know how to do it en 1943.
– Chewin’ mama blues en 1945.
– Pacific coast blues en 1945.
– A slick chick en 1946.
– There’s got to be a change en 1947.
– Mean and evil blues en 1947.
– Walkin’ and talkin’ and crying my blues away en 1948.
– Am I asking too much en 1948.
– It’s too soon to know en 1948.
– Long John blues en 1949.
– Fast movin’ mama en 1950.
– Cold, cold heart en 1951.
– New blowtop blues en 1952.
– Pillow blues en 1952.
– Gambler’s blues en 1953.
– Silent night en 1953.
– Big long slidin’ thing en 1954.
– I don’t hurt anymore en 1954.
– Cat on a hot tin roof en 1956.
– Blues down home en 1957.
– Ain’t nobody home en 1957.
– What a diff’rence a day makes en 1959.
– Baby (You’ve got what it takes) en 1960 avec Brook Benton.
– The blues ain’t nothin’ but a woman cryin’ for her man en 1963.
– You’ve been a good old wagon en 1963.
– Key to the highway en 1963.
– Nobody knows the way i feel this morning en 1963.
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