Lucas Vazquez de Ayllon. © : The Hispanic Council.

Il est rarissime qu’un article sur ce site nous ramène si loin en arrière. Mais « Les Temps du Blues » entendent tous les temps du blues, y compris les plus lointains. En août 1619, le White Lion devient non seulement le premier navire transportant des esclaves venus d’Afrique à toucher le territoire des futurs États-Unis (sur la côte de l’actuelle Virginie), et marque surtout le départ de la traite atlantique dite « négrière », honte absolue de l’histoire de l’humanité. Mais des événements ponctuels annoncèrent bien plus tôt cette systématisation de la déportation, qui avait pour objectif la découverte de ce que nous persistons à qualifier sentencieusement de Nouveau Monde. J’ignorais qu’il y avait plusieurs mondes. Triste notion que celle de ce Nouveau Monde que l’on doit à Christophe Colomb, qui en fut l’acteur le plus connu dès la fin du XVe siècle, et qui, nous le savons désormais, n’a finalement pas découvert grand-chose mais beaucoup colonisé (d’où son nom !).

L’itinéraire de Lucas Vazquez de Ayllon en 1526. © : Alchetron.

Mais il ne fut évidemment pas le seul. Parmi eux, Lucas Vazquez de Ayllon, né entre 1475 et 1480 à Tolède en Espagne, issu d’une famille de notables. Il étudie le droit et son père le forme à la politique. En 1502, sur ordre des rois d’Espagne, il prend part à la mission de Nicolas de Ovando, nommé gouverneur des Indes occidentales à Hispaniola, île des Grandes Antilles aujourd’hui partagée entre Haïti et la République dominicaine. Les Indes occidentales désignent alors une immense région qui englobe toutes les actuelles Antilles, l’essentiel de l’Amérique centrale et le nord de l’Amérique du Sud. On les appellera longtemps simplement les Indes, qui n’ont évidemment rien à voir avec les Indes orientales qui correspondent en gros à l’Asie du sud (dont l’Inde), du sud-est et à l’Indonésie. Colomb, décidément impayable, pensa découvrir les Indes orientales alors qu’il naviguait à l’opposé !

Carte de la « terre d’Ayllon », site du débarquement de l’explorateur en 1526. © : Real Academia de la Historia.

Entre-temps, les Espagnols, qui sont déjà présents en Amérique centrale, notamment au Mexique mais aussi dans les Bahamas, commencent à s’intéresser sérieusement à la côte est de ce qui n’est pas encore le territoire des États-Unis. Lucas Vazquez de Ayllon participe à une première exploration le 24 juin 1521, durant laquelle il capture des natifs qu’il ramène à Hispaniola. Il rentre ensuite en Espagne et cherche à persuader la couronne de l’opportunité de coloniser la côte est. Il obtient gain de cause et mène de nouvelles explorations jusqu’en 1525, sans toutefois établir d’habitat permanent. L’année suivante, à la tête d’une flotte de six vaisseaux qui contiennent des esclaves, il touche terre le 9 août 1526 à Winyah Bay (aujourd’hui près de Georgetown, Caroline du Sud). L’accostage est difficile, le terrain est hostile et le navire principal sombre.

Anciens esclaves, Foller Plantation, Cumberland Landing, Virginie, 14 mai 1862. © Britannica.

L’expédition parcourt quelque 300 km vers le sud et trouve des terres plus favorables, sans doute sur le site actuel de Sapelo Sound en Géorgie (les historiens sont toutefois divisés sur la localisation exacte). Ses membres forment le 29 septembre 1526 la colonie de San Miguel de Gualdape, qui n’est autre que le premier établissement européen sur le sol des futurs États-Unis. Une colonie qui fait toutefois long feu. Les conflits avec les natifs, les maladies et autres difficultés d’adaptation ont rapidement raison des velléités des colons. Lucas Vazquez de Ayllon n’y échappe pas et expire le 18 octobre 1526, d’une maladie inconnue, il y a donc tout juste 498 ans. Un demi-millénaire plus tard, souvenons-nous que la musique que nous adorons, entendez le blues, est née des premiers esclaves venus d’Afrique qui bien malgré eux échouèrent sur cette côte est des États-Unis.

Blind Blake. © : eBay / Les Temps du Blues.

Le Piedmont Blues, ou plus largement East Coast Blues, compte des musiciens parmi les plus étourdissants de cette musique, ce dont témoignent très partiellement les quinze chansons en écoute qui suivent.
Too tight blues en 1926 par Blind Blake.
House top blues en 1929 par Sluefoot Joe aka Ed Bell.
Rag baby en 1929 par Willie Baker.
I am the light of the world en 1935 par Blind Gary Davis.
Working man blues en 1937 par Blind Boy Fuller.
Travelin’ man en 1938 par Virgil Childers.
My mother’s grave must be found en 1973 par Henry « Rufe » Johnson.
Black rat blues vers 1975 par Turner Foddrell.
Bear cat mama blues en 1980 par Archie Edwards.
Don’t jump my pony en 2001 par Precious Bryant.
Pickin’ low cotton en 2013 par Boo Hanks.
Goin’ down this road feelin’ bad en 2015 par Algia Mae Hinton.
Texas traveler en 2017 par Jerron « Blind Boy » Paxton.
30 long years en 2022 par Andrew Alli et Stephen Hull.
Earthworm basement blues en 2024 par Jontavious Willis.

Jontavious Willis. © : Butch Oglesby.