C’est la première fois sur ce site que je m’arrête sur un(e) artiste décédé(e) le jour de son anniversaire. Il s’agit en l’occurrence de Sippie Wallace. Chanteuse, pianiste et surtout compositrice, elle fut d’abord une représentante majeure du blues classique dans les années 1920. Après une longue parenthèse d’une quarantaine d’années, elle a entrepris dans les années 1960 une seconde carrière, étant notamment la principale inspiratrice de Bonnie Raitt. Sippie Wallace naît Beulah Belle Thomas le 1er novembre 1898 à Plum Bayou Township, près de Pine Bluff en Arkansas. Fille de Fanny Bradley et de George Washington Thomas, Sr., elle aura douze frères et sœurs et plusieurs membres de sa famille seront d’éminents musiciens. C’est le cas de ses frères George Washington Thomas, Jr. et de Hersal Thomas, précurseurs du boogie-woogie, et de sa nièce Hociel Thomas, elle aussi active à l’époque du blues classique.
La famille s’installe très vite à Houston, et quelques sources affirment d’ailleurs, mais par erreur, que Wallace est née dans la grande ville texane. Dès l’école primaire, on la surnomme Sippie, du fait de ses deux incisives supérieures très écartées qui l’obligent à tout boire à petites gorgées, à siroter (to sip en anglais). Son père étant diacre de la Shiloh Baptist Church, elle commence également très jeune à chanter et jouer du piano à l’église. Mais le soir, elle échappe souvent à la surveillance de ses parents pour assister à des spectacles de tent shows. Devant la fréquence de ses visites, on finit par lui proposer une place dans une chorale. D’après un article de Donna P. Parker pour la Texas State Historical Association, au milieu des années 1910 c’est une artiste accomplie qui suit un de ces tent shows à Houston mais aussi à Dallas, comme chanteuse, danseuse, humoriste et même assistante d’un charmeur de serpents ! On l’appelle alors « Texas Nightingale », le rossignol du Texas…
Au même moment, en 1915, elle s’installe à La Nouvelle-Orléans avec son frère Hersal, où ils retrouvent leur aîné, George Washington Thomas, Jr. Au tournant des années 1910 et 1920, ils côtoient les jazzmen King Oliver, Louis Armstrong, Sidney Bechet, Clarence Williams et Johnny Dodds (selon Parker). Après un premier mariage qui fait long feu, la chanteuse épouse Matt Wallace en 1919 et devient Sippie Wallace. En 1923, Sippie et ses frères partent cette fois pour Chicago, où ils rencontrent Ralph Peer, alors producteur des disques OKeh. Et le 26 octobre 2023, avec le pianiste Eddie Heywood, Sippie Wallace enregistre ses deux premières chansons pour OKeh, Up the country blues et Shorty George blues. Le single se vend à plus de 100 000 exemplaires, un chiffre énorme pour l’époque, et la propulse d’emblée parmi les chanteuses les plus en vue du blues classique. Son statut lui garantit également d’être accompagnée par les meilleurs musiciens dès 1924, qu’elle avait d’ailleurs connus en Louisiane, dont Louis Armstrong, Sidney Bechet et Clarence Williams.
Jusqu’au 6 mai 1927, Wallace sort au total quarante-trois chansons pour OKeh et connaît d’autres succès dont Bedroom blues, I’m a mighty tight woman et Woman be wise. Sans oublier Special delivery blues dont elle est la compositrice et qu’elle grave 1er mars 1926 avec Louis Armstrong et son frère Hersal Thomas. Hélas, trois mois plus tard, le 2 juin 1926, ce dernier décède des suites d’une intoxication alimentaire à seulement dix-neuf ans. Comme toutes les chanteuses de blues classique, Wallace est victime du déclin de ce style à la fin des années 1920. Les 6 et 7 février 1929, elle enregistre quatre chansons pour Victor sous le nom de Sippie Thomas. La même année, elle s’installe à Détroit, Michigan, et abandonne quasiment le blues (en 1945, elle signe toutefois un single pour Mercury avec Albert Ammons). Elle exerce alors comme chanteuse, directrice de chœur et organiste à la Leland Baptist Church. En 1936, elle perd son mari Matt Wallace, puis son frère aîné George Washington Thomas, Jr. l’année suivante.
En 1966, soit trente-sept ans après ses 78-tours pour Victor, poussée par son amie Victoria Spivey, Sippie Wallace accepte de reprendre sa carrière dans le blues. En octobre, profitant de sa participation à l’American Folk Blues Festival, elle enregistre en huit jours deux albums : « Sings The Blues » et « Women Be Wise », tous deux pour Storyville et avec les pianistes Roosevelt Sykes et Little Brother Montgomery. Ces deux disques, qui démontrent qu’elle n’a rien perdu de sa puissance vocale, impressionnent la jeune Bonnie Raitt qui décide alors de faire carrière dans la musique. On voit Wallace au Newport Folk Festival (1966 et 1967), au Chicago Blues Festival (1967), au Ann Arbor Blues Festival (1972)…
Parallèlement, elle partage un album en 1970 avec Victoria Spivey, « Sippie Wallace and Victoria Spivey » (Spivey Records). En 1982, son remarquable album « Sippie » pour Atlantic (avec le James Dapogny’s Chicago Jazz Band et Bonnie Raitt à la guitare slide sur trois chansons) lui vaut à quatre-vingt-deux ans un W.C. Handy Blues Award et une nomination aux Grammy Awards. En 1983 et 1984, elle trouve encore le temps de faire deux albums avec le pianiste allemand de boogie-woogie Axel Zwingenberger, et fait l’objet en 1986 du documentaire Sippie Wallace: Blues Singer and Song Write, réalisé par Roberta Grossman. En mars 1986, à l’issue d’un concert au Burghausen Jazz Festival en Allemagne, elle est victime d’un AVC. Sippie Wallace s’éteint sept mois plus tard, le 1er novembre 1986, jour de son quatre-vingt-huitième anniversaire.
Voici maintenant dix chansons en écoute.
– Up the country blues en 1924.
– Special delivery blues en 1926.
– I’m a mighty tight woman en 1929.
– Bedroom blues en 1945.
– Murder gonna be my crime en 1966.
– Woman be wise en 1966.
– Suitcase blues en 1982.
– Mama’s gone, goodbye en 1982.
– You got to know how en 1982.
– Shorty George blues en 1982. Avec John Mayall !
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