Ce n’est certes pas du blues à proprement parler, mais le zydeco et la musique cadienne font bel et bien partie de notre univers, d’autant que ses pionniers furent parmi les premiers à s’exprimer dans des duos ou des formations mixtes comptant des membres noirs, blancs et créoles. Je vous propose aujourd’hui de considérer le parcours du chanteur-accordéoniste Joe Falcon (qu’il faut associer à sa femme Cléoma Falcon née Breaux), auteur des premiers disques de musique cadienne qui s’exprimait en français louisianais. Il naît Joseph F. Falcon le 28 septembre 1900 à Roberts Cove près de Rayne, une petite ville louisianaise entre Crowley à l’ouest et Lafayette à l’est. Il est le cinquième enfant de Pierre Illaire Falcon et Marie Arvilia Boudreaux. Si les origines de sa mère sont cadiennes, ses grands-parents paternels, José Félix Falcón et María Antonia Damasa Falcón, descendent de colons venus des îles Canaries quand la Louisiane était espagnole à la fin du XVIIIe siècle.
Les conditions de vie sont très modestes pour ses parents qui cultivent du riz, du coton et de la canne à sucre, mais la musique est présente dans la famille, comme Falcon le disait à Chris Strachwitz du label Arhoolie dans une interview en août 1962 : « D’une certaine façon j’ai toujours entendu de la musique cadienne autour de l’endroit où je suis né. Et mon père jouait, tout comme mes frères, mes sœurs, toute la famille. Ils jouaient du French accordion (accordéon cajun). Les Anglo-Saxons l’appellent le push-and-pull mais c’est le French accordion. » On sait peu de choses sur les premières années de Falcon, mais il apprend l’accordéon très jeune, ce que relate John Broven dans South to Louisiana: The Music of the Cajun Bayous (Pelican 1983) : « Quand Joe a eu sept ans, son père a accepté de lui acheter un accordéon, mais il a dû aller à Lafayette car il n’en trouvait pas à Rayne. »
Au début, l’apprentissage est difficile car il ne peut pas jouer dans la maison et doit se contenter de la grange, où la cohabitation avec le bétail n’est pas toujours facile ! Mais Falcon est obstiné et plutôt doué, et quelque part dans les années 1920, il fait ses débuts professionnels complètement par hasard, à Rayne dans le dancehall d’Oneziphore Guidry, le Blue Goose, où il a ses habitudes. Dans le livre de Broven, il raconte : « Je n’avais rien préparé. J’avais juste amené mon accordéon (…), mais le groupe au programme n’est pas venu. Il (Guidry) m’a demandé, « ça te dirait d’y aller et de jouer ? Je te paierai ». J’ai dit, « oh non, je joue juste comme ça, pour le plaisir. » Il m’a dit, « vas-y, je n’ai pas de musique ». Alors je suis monté sur scène et j’ai commencé à jouer. J’ai continué jusqu’à minuit et il m’a payé 4 dollars. Mec, vraiment, j’étais content avec ces 4 dollars ! »
Falcon fréquente également d’autres musiciens dont Amédée Breaux et sa sœur Cléoma, une chanteuse-guitariste qui deviendra donc sa femme. En 1928, le couple va signer ses premières faces dans des circonstances une nouvelle fois singulières. En effet, un bijoutier du nom de George Burr convainc Columbia de réaliser l’enregistrement en s’engageant à acheter 500 exemplaires du disque. Un troisième artiste est prévu, le chanteur Leon Meche, mais il renonce au dernier moment. Et le 27 avril 1928, Joe Falcon et Cléoma Breaux gravent Lafayette (Allons à Lafayette/Luafette) et La Valse Qui Ma Portin De Ma Fose (La valse qui m’a porté en terre), qui est tout simplement le premier disque de musique cadienne de l’histoire ! Le 78-tours se vend bien, surtout dans cette région où cette musique est très populaire : les gens sont pauvres, mais tous se doivent de posséder le disque…
Jusqu’en 1937, Joe Falcon, le plus souvent avec Cléoma Breaux qu’il a épousée en 1932, grave vingt-quatre chansons pour des labels alors phares, Columbia, OKeh, Decca… Mais la concurrence du style country & western se fait de plus en plus rude et sa musique n’est plus à la mode. Cléoma décède des suites d’une longue maladie le 7 avril 1941, à seulement trente-quatre ans. Falcon poursuit sa carrière avec son groupe (Joe Falcon and His Silver Bell String Band, qui comprend sa seconde femme, Theresa Meaux, à la batterie), mais il refuse de retourner en studio, persuadé que les labels l’ont floué. Interviewé par Chris Strachwitz en 1962 (voir plus haut), il consent toutefois à enregistrer un album en public l’année suivante, « Recorded Live at the Triangle Club in Scott, LA 1963 ». Joe Falcon s’éteint à Crowley deux ans plus tard, le 19 novembre 1965 à soixante-cinq ans.
Voici maintenant quelques chansons en écoute.
– Lafayette en 1928. Le premier enregistrement de musique cadienne !
– Poche town en 1929.
– Le valse de mon rêve en 1934.
– La nuit de samedi en 1937.
– Creole stomp en 1963.
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