© : Ebony Magazine.

Le 12 février 1909, W.E.B. Du Bois, Mary White Ovington, Moorfield Storey, Ida B. Wells, Lillian Wald et Henry Moskowitz se réunissent au domicile de William English Walling à New York. Les protagonistes n’ont pas choisi cette date par hasard, qui marque le centenaire de la naissance du président Abraham Lincoln, né le 12 février 1809 et principal acteur de l’abolition de l’esclavage en 1865. W.E.B. Du Bois et Ida B. Wells sont noirs, les quatre autres intervenants sont blancs. Ils fondent alors la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), la première (et plus importante) organisation en faveur des droits civiques. Au moins deux événements vont en quelque sorte « précipiter » la création de la NAACP.

Une femme lave des vêtements en marge de l’exposition In Darkest Africa, Buffalo, État de New York, 1901.

Tout d’abord l’exposition panaméricaine qui se déroule du 1er mai au 2 novembre 1901 à Buffalo dans l’État de New York, où deux expositions marquent très négativement les esprits des Afro-Américains. Old Plantation, censée dépeindre les conditions de vie des Noirs dans le Sud Profond, est en fait une caricature honteuse qui essaye de faire croire au public que lesdits Noirs nagent dans le bonheur alors qu’ils subissent une ségrégation féroce. Quant à In Darkest Africa, elle met en avant des aspects comme la sorcellerie et le cannibalisme ! W.E.B. Du Bois, historien, sociologue et activiste en faveur des droits civiques, s’en émeut et un premier groupe se forme autour de lui. Il se structure et devient en 1905 le Niagara Movement qui lutte contre la ségrégation raciale et l’incapacité électorale (disfranchisement).

Membres du Niagara Movement, Fort Érié, Ontario, Canada, 1905. En haut de gauche à droite : H. A. Thompson, Alonzo F. Herndon, John Hope et James R.L. Diggs (?). Au centre de gauche à droite : Frederick McGhee, Norris B. Herndon (enfant), J. Max Barber, W.E.B. Du Bois et Robert Bonner. En bas de gauche à droite : Henry L. Bailey, Clement G. Morgan, W.H.H. Hart et B.S. Smith.

Le deuxième événement se produit du 14 au 16 août 1908, sous la forme d’émeutes raciales à Springfield, Illinois. De façon tristement « classique » à cette époque, une femme blanche accuse au moins un homme noir (George Richardson) de l’avoir agressée et violée. Deux suspects sont arrêtés et tout dégénère rapidement avant même que les faits soient clairement établis. Là encore de façon classique, une véritable horde de quelque 5 000 Blancs se forme, dont les membres s’en prennent sans discernement aux Noirs, mais aussi aux habitations et commerces qu’ils incendient et pillent. Le bilan est lourd avec 17 morts (9 Noirs et 8 Blancs) et plus de 2 000 sinistrés. L’histoire nous rappelle que ces émeutes eurent donc lieu à Springfield, où vécut Abraham Lincoln, et dont le barbier n’était autre que le grand-père de George Richardson, qui sera finalement disculpé…

Ruines du quartier noir de Badlands lors des émeutes, Springfield, Illinois, 15 août 1908. © : Sangamon Valley Collection, Lincoln Library.

En créant la NAACP tout juste un siècle après la naissance de Lincoln, les personnalités citées plus haut bouclent ainsi une boucle singulière, et je n’ai évidemment pas choisi par hasard ces événements en ce 12 février 2025. Mais il importe maintenant de parler musique. Car il faut un hymne à l’organisation, qui se tourne sans hésiter vers Lift every voice and sing, une composition de 1900 par James Weldon Johnson (paroles) et son frère John Rosamond Johnson (musique). En 1919, ce chant d’espoir et de liberté devient le Negro National Anthem (aujourd’hui, on parle bien sûr plus volontiers de Black National Anthem, hymne national noir), qui sera ensuite interprété par des artistes qui incarneront la lutte pour les droits civiques décennie après décennie. Il est impossible d’en dresser la liste ici, mais on peut citer la chanteuse soul Kim Weston en ouverture du fameux Wattsax Festival à Los Angeles en 1972, et sa mise en avant suite au meurtre de George Floyd en 2020.

George Richardson, injustement accusé de viol lors des émeutes, Springfield, Illinois, 1908. © : The State Journal-Register.

Voici maintenant une sélection de versions en rapport avec notre spectre.
Lift every voice and sing en 1942 par The Southern Sons.
Lift every voice and sing en 1972 par Kim Weston.
Lift every voice and sing en 1972 par Ray Charles.
Lift every voice and sing en 2018 par Cyril Neville (feat. Gaynielle Neville, Dane Wilson & Yadonna Wise).
Lift every voice and sing en 2023 par Gaye Adegbalola.
Lift every voice and sing en 2024 par la Howard Gospel Choir.

James Weldon Johnson et John Rosamond Johnson, auteurs de Lift every voice and sing. © : Yale Collection of American Literature / Beinecke Rare Book and Manuscript Library.