En 1963. © : George Mitchell.

Auteur de trente chansons entre 1926 et 1929, ce qui est conséquent pour un bluesman rural à l’époque (et encore, comme nous le verrons plus loin, certaines sources lui en attribuent quelques autres en 1931), Peg Leg Howell est né en 1888, et fait ainsi partie des bluesmen les plus « archaïques » jamais enregistrés, influencé par des styles précurseurs du blues lui-même. Comme nombre de pionniers des années 1920, il disparaîtra des radars durant des décennies après la Grande Dépression, avant d’être redécouvert dans les années 1960. Ce chanteur-guitariste s’imposera alors parmi les représentants notables du Piedmont Blues.

Henry Williams, Eddie Anthony et Peg Leg Howell, années 1920. © : Courtesy of George Mitchell / Stefan Wirz.

Il voit le jour sous le nom de Joshua Barnes Howell le 5 mars 1888 à Eatonton, une ville du centre de la Géorgie à 120 kilomètres au sud-est d’Atlanta. Ses parents, Ruthie Myrick et Thomas Howell, sont fermiers, et bien que la musique soit très présente dans son entourage, le jeune Joshua, du fait de sa stature robuste, aide surtout son père pour les travaux agricoles. Il va en outre à l’école jusqu’à l’âge de quatorze ou quinze ans, ce qui est alors rare pour un adolescent afro-américain employé de ferme. En 1909, à vingt et un ans, il se met à la guitare dans des circonstances mal définies : selon la plupart des sources, il aurait appris une nuit sans s’arrêter tant qu’il ne saurait pas jouer… Quoi qu’il en soit, il est assurément autodidacte et progresse vite, se produit un peu localement tout en poursuivant les travaux à la ferme.

© : Stefan Wirz.

Un événement change toutefois le cours de son existence en 1916, quand, lors d’une altercation avec son beau-frère, il est gravement blessé par balle à la jambe droite qui doit être amputée, fait à l’origine de son surnom « Peg Leg » (« jambe de bois »). Comme il ne peut plus travailler dans les champs comme avant, il est employé durant un an dans une usine d’engrais dans le comté voisin de Madison. De retour chez lui, il vit difficilement de petits boulots puis s’installe en 1923 à Atlanta, où il peut donner plus de place à la musique et s’associer à d’autres musiciens. Il finit par former un groupe, Peg Leg Howell and his Gang, dont les membres changent souvent, mais les plus réguliers sont Eugene Pedin (mandoline), Henry Williams (guitare) et Eddie Anthony (violon), qui s’expriment dans un registre proche des string bands avec des emprunts au ragtime et au jazz naissant.

© : Robert Crumb / Yazoo Records / Stefan Wirz.

Un nouveau coup d’arrêt se présente dans le parcours d’Howell, quand il purge en 1925 une peine d’un an de prison pour contrebande d’alcool car la musique ne lui suffit pas pour vivre. Libéré l’année suivante, il revient à Atlanta et joue dans les rues du quartier de Decatur Street, où il est remarqué par un certain Mr Brown du label Columbia, comme il le racontera en mars 1964 dans une interview publiée par Mike Leadbitter dans Nothing but the Blues (Hanover Books, 1971) : « Je faisais ma sérénade sur Decatur Street, il m’a entendu et emmené dans son bureau et m’a demandé de jouer. » Le 8 novembre 1926, Peg Leg Howell grave en solo, au chant et à la guitare, quatre faces dont la première est New prison blues, évidemment apprise lors de son séjour derrière les barreaux. Il l’évoque avec Leadbitter et livre un témoignage intéressant sur son expérience : « Mon premier disque était New prison blues. Je suis allé en prison car je revendais du whiskey et je l’ai apprise là-bas. J’ignore qui l’a écrite. J’achetais l’alcool de contrebande à des gens qui la fabriquaient et je la vendais. Je ne sais pas comment ils m’ont attrapé, ils me sont juste tombés dessus un jour. J’ai été payé 50 dollars pour mon premier disque. Je recevais aussi des royalties, deux fois par an. Après la sortie du disque, je me produisais en différents lieux autour d’Atlanta, mais je jouais surtout dans les rues. »

© : Stefan Wirz.

Howell est un des premiers artistes enregistrés à Atlanta, et son registre est alors assez étendu, allant des airs d’old-time music des string bands au blues, en passant par d’anciennes work songs, des pièces de danse, des ballades et même parfois des coon songs ! Ses dernières faces sont cependant plus ancrées dans la tradition du Piedmont Blues, et son jeu de guitare slide et magnifique. Au total il grave jusqu’au 13 avril 1929 trente chansons, toutes pour Columbia, dont certaines avec Henry Williams et Eddie Anthony cités plus haut, et le mandoliniste Jim Hill, autre membre de son « Gang ». En 1929 et 1930, sous le nom de Tampa Joe, il serait sur sept faces un des accompagnateurs (mais il pourrait aussi s’agir de Jim Hill ou d’Henry Williams) de Macon Ed, qui est cette fois le pseudonyme d’Eddie Anthony, mais il est difficile de l’établir formellement. Howell continue ensuite de jouer avec Anthony, mais à la mort de ce dernier en 1934, il s’éloigne progressivement de la musique. Il a du mal à joindre les deux bouts et reprend même un temps son activité de commerce illégal d’alcool. Enfin, en 1952, il est amputé de la jambe gauche à cause du diabète…

En 1963. © : George Mitchell / Sooze Blues & Jazz – Weebly.

Alors qu’il semble perdu pour la musique, âgé de soixante-quinze ans et cloué dans un fauteuil roulant, il est redécouvert en 1963 dans une misère noire par le musicologue George Mitchell et l’historien Robert Brown. Le 11 avril de la même année, Mitchell et C.P. Matthews lui permettent d’enregistrer dix chansons. Éditées par Bob Koester, les bandes auraient dû faire l’objet d’un album chez Delmark, mais il sort finalement chez Testament l’année suivante, intitulé « The Legendary Peg Leg Howell ». Howell y apparaît fatigué, mais c’est un témoignage poignant de la part d’un artiste qui a appris son blues au contact de précurseurs qui creusèrent les fondations de cette musique. Puis sa santé se dégrade. En 1966, Peg Leg Howell est hospitalisé pour des troubles nerveux chroniques, et s’éteint le 11 août à l’âge de soixante-dix-huit ans.

© : Amazon.

Sachant que cet article est difficile à illustrer car il n’existe peu de photos de qualité d’Howell, j’ajoute dix chansons en écoute.
New prison blues en 1926.
Coal man blues en 1926.
Beaver slide rag en 1927.
Sadie Lee blues en 1927.
Rock and gravel blues en 1928.
Please ma’am en 1928.
Chittlin’ supper en 1929.
Ball and chain blues en 1929.
John Henry en 1963.
Let me play with your yo-yo en 1963.

En 1963. © : George Mitchell / Stefan Wirz.