Willie B. Thomas, Harry Oster et Butch Cage en 1960. © : David Gahr / Stefan Wirz.

Dans la grande majorité des cas, cette rubrique commémorative, à partir de dates de naissance et de mort, est consacrée à des artistes, mais j’aime l’ouvrir de temps à autre à des acteurs ayant joué un rôle important dans l’histoire du blues. C’est le cas d’Harry Oster, musicologue, collecteur de folklore et auteur de livres marquants. Oster est né le 12 avril 1923 à Cambridge, Massachusetts, où ses parents, Sarah et Jacob Oster, immigrants juifs russes, sont installés. Après ses obligations militaires comme observateur météorologique en 1943, il obtient une maîtrise de gestion à la Columbia Business School (New York). Il poursuit alors de longues et brillantes études : en 1946, il décroche une licence en lettres à Harvard (Cambridge), puis un master en 1950 et un doctorat en anglais en 1953 à l’université Cornwell (Ithaca).

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Durant ses études à Cornwell, Oster s’intéresse d’abord à la musique yiddish, mais il mesure vite la richesse des traditions musicales américaines et commence à participer à l’organisation d’événements autour de la musique folk. À partir de 1955, Oster enseigne l’anglais à l’université d’État de Louisiane. Après une conférence-concert remarquée sur les ballades enfantines, on l’invite à demander des fonds pour collecter du folklore local, et à sa grande surprise, il reçoit une bourse de cinq cents dollars qui lui permet d’aller sur le terrain dans ce but. Ses travaux en Louisiane, qui portent sur les traditions créoles et francophones mais aussi sur d’autres plus anciennes d’origine anglo-américaine, lui valent une reconnaissance notable dans le milieu.

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En 1956, il fonde à Baton Rouge avec Darwin Shrell et Clayton Holaday la Louisiana Folklore Society (LFS), grâce à laquelle il sort dès l’année suivante un premier album, « A Sampler of Louisiana Folksongs », à partir d’enregistrements de terrain d’artistes locaux totalement inconnus mais dont le legs jusque-là négligé est précieux. La LFS édite deux autres compilations dans le même esprit en 1958 et 1959, « Louisiana Folksong Jambalaya » (avec Oster lui-même au chant !) et « Folksongs of the Louisiana Acadians ». Oster est aussi à l’origine des premières faces sous son nom de Snooks Eaglin début 1958. Parallèlement, imitant en cela ses prédécesseurs comme John et Alan Lomax, Oster sait que les établissements pénitentiaires ont un important potentiel artistique en termes de blues car de nombreux Afro-Américains y sont emprisonnés.

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En janvier 1959, accompagné de l’historien Richard B. Allen, Harry Oster visite le pénitencier d’État de Louisiane, de triste réputation et connu sous le nom d’Angola, où il enregistre pour la LFS Robert « Guitar » Welch, Hogman Maxey et surtout Robert Pete Williams, découverte majeure du Blues Revival. Williams, condamné à la perpétuité pour avoir abattu un rival, réalise « Angola Prisoner’s Blues », un des disques les plus poignants de l’époque, et grâce à l’intervention d’Oster, il est même libéré sur parole, ce qui lui permettra ensuite de mener une brillante carrière et d’accéder à une reconnaissance internationale. D’autres enregistrements de prisonniers sont menés, et progressivement, les albums de la LFS sortent sur le label Folk-Lyric créé en 1959 par Oster, mais aussi chez Arhoolie de Chris Strachwitz, qui finira par acquérir Folk-Lyric en 1970.

Harry Oster en train d’enregistrer Percy Randolph. © : Arhoolie Foundation.

Ces enregistrements sont évidemment remarquables mais Oster, qui enseigne à l’université de l’Iowa (Iowa City) à partir de 1963 (il y restera jusqu’à sa retraite en 1993), continue ses travaux en faveur de la préservation des traditions musicales et folkloriques américaines. Des artistes de la stature de Robert Pete Williams, Son House et Gary Davis se produisent à l’université. Oster s’investit également dans d’autres secteurs, écrit des articles dans la presse spécialisée et signe en 1969 un premier livre qui fait toujours autorité, Living Country Blues (Folklore Associates, 1969). L’ouvrage se concentre sur les textes et propose la transcription commentée de plus de deux cents chansons. Entre 1974 et 1981, à l’université de l’Iowa, il conduit notamment des recherches et des études avec le Français André Prévos (1948-2002), collaborateur de Soul Bag durant vingt ans. En 2000, il signe avec Alan Axelrod The Penguin Dictionary of American Folklore (Penguin Reference), un autre livre référent. Mais Harry Oster décède peu après, le 19 janvier 2001, à l’âge de soixante-sept ans. Sa collection, essentielle car elle met en lumière des pans souvent ignorés de la culture louisianaise (musique cadienne, old-time music afro-américaine, Mardi Gras Indians, jazz traditionnel néo-orléanais, chants de prisonniers, cantiques, spirituals…), est aujourd’hui conservée à la Arhoolie Foundation, à laquelle j’ai récemment consacré un article le 7 avril 2025.

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