© : Crossroads Blue Media / The Salem News.

Dans les années 1980 et 1990, les chances étaient grandes de voir Luther « Guitar Junior » Johnson sous nos latitudes. Sur scène, son blues compact et cuivré, sa voix puissante, et son jeu de guitare tranchant et intense directement issu de l’école du West Side d’un Magic Sam dont il fut le compère, étaient toujours garants de bons moments. Il vient donc de quitter ce monde le 25 décembre 2022, jour de Noël, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Étrangement, il existe trois Luther Johnson, tous chanteurs-guitaristes de blues, dont deux firent partie de l’orchestre de Muddy Waters, ce qui est susceptible de générer quelques confusions… Le premier, Luther « Georgia Boy » ou « Snake Boy » Johnson (1934-1976, de son vrai nom Lucious Brinson, lire mon article du 18 mars 2019), accompagna Muddy de 1967 à 1970, mais aussi John Lee Hooker et Otis Spann, tout en signant quelques belles réussites sous son nom. Le deuxième, dont il est question aujourd’hui, Luther « Guitar Junior » Johnson, prit le relais trois ans plus tard et prolongea le bail jusqu’en 1980, date à laquelle il apparaît aussi dans le film The Blues Brothers avec John Lee Hooker. Enfin, le troisième, bien moins connu, Luther « Houserocker » Johnson (1939-2019), réalisa deux albums en 1990 et 1991 mais ne joua pas avec Muddy.

© : Renato Tonelli Collection, Archives and Special Collections, University of Mississippi Libraries.

Luther « Guitar Junior » Johnson naît le 11 avril 1939 à Itta Bena, en plein cœur du Delta, Mississippi, d’où sont également originaires des gens assez connus dont B.B. King, Robert Petway, Smokey Babe, Big Mojo Elem… Doué au chant, il s’initie d’abord au gospel et devient chef de chœur dans une église proche de Greenwood. Il est vite fasciné par le blues d’autant qu’il voit quelques maîtres du genre comme Robert Nighthawk, Sonny Boy Williamson II et déjà Muddy Waters. Sa mère ne cherche pas à le dissuader et lui achète même sa première guitare, une Roy Rogers Special, et il apprend les premiers rudiments avec un cousin.

© : Alligator Records.

Quand la famille s’installe à Chicago en 1955, il est loin de maîtriser la guitare comme le chant et doit mettre les bouchées doubles en apprenant au passage la basse. Il travaille quelque temps avec Floyd Murphy, le frère de Matt « Guitar » Murphy, moins connu mais également guitariste brillant, notable pour ses sessions chez Sun dans les années 1950. Plus aguerri, il décroche un engagement comme chanteur-bassiste avec Tall Milton Sheldon. Et en 1962, quand ce dernier abandonne la musique pour devenir pasteur, Johnson opte définitivement pour la guitare, au moment où on commence à l’appeler Guitar Junior. Il joue un peu partout, dans les rues, dans les clubs, et rencontre Magic Sam au milieu des années 1960, qui l’influence énormément et qu’il accompagne durant deux ans sur scène, mais pas sur disque.

© : Rate Your Music.

Johnson grave ses premières faces en 1972 et rejoint donc Muddy Waters l’année suivante. La présence à Chicago de deux homonymes, Luther « Georgia Boy » Johnson dont nous parlons plus haut, ainsi que de Lonnie Brooks qui adopte aussi le surnom de Guitar Junior, ne lui permet pas de s’imposer immédiatement. Mais trois albums sous son nom dans la seconde moitié des années 1970, « Ma Bea’s Rock » pour MCM en 1975, « Luther’s Blues » en 1977 et « I Changed » en 1979 pour Black and Blue (tous pour des labels français !), ainsi qu’une participation à celui des Nighthawks (« Jack & Kings » pour Adelphi en 1978), finissent parmi l’installer parmi les guitaristes de Chicago les plus crédibles. Bruce Iglauer ne s’y trompe pas et l’invite sur le volume 6 de sa fameuse série « Living Chicago Blues » pour son label Alligator (lire mon article du 5 novembre 2022).

© : Hideaway Cafe.

Après « Doin’ the Sugar Too » en 1984 chez Rooster et un Grammy Award en 1985 pour sa participation à la compilation « Blues Explosion » (Atlantic), il sort dans les années 1990 avec ses Magic Rockers une série d’albums de très haut niveau, les meilleurs étant à nos yeux « I Want to Groove with You » (Bullseye Blues, 1990), « Country Sugar Papa » (Bullseye Blues, 1994), « Slammin’ on the West Side » (Telarc, 1996) et « Live at the Rynborn » (M.C. Records, 1999). Les années 2000 commencent sous des auspices prometteurs avec l’excellent « Talkin’ About Soul » (Telarc, 2001), puis Johnson n’enregistre plus rien pendant près de vingt ans. Et il faut bien en convenir, sur son ultime disque au titre prémonitoire, « Won’t Be Back No More » (Crossroads Blues Media, 2020), il n’est plus que l’ombre de lui-même. Pas question pour autant de minimiser l’importance de Luther « Guitar Junior » Johnson, avec une œuvre qui aura marqué pendant trois décennies le blues de Chicago, et tout particulièrement le West Side Sound dont il était un des derniers grands représentants.

© : Monadnock Ledger-Transcript.

À écouter.
– « I Want To Groove With You » (Bullseye Blues, 1990), album complet.
– « Live at the Rynborn » (M.C. Records, 1999), album complet.