Amos Milburn. © : Texas Highways Magazine.

Nouvel article de ma rubrique qui s’arrête sur des mots et des expressions propres aux textes du blues, dont on ne trouve pas la traduction dans les dictionnaires traditionnels (*). Il s’agit essentiellement d’expliquer le sens de ces termes nés lors de la conception du blues, soit dans les années 1880, en les remettant dans le contexte des compositions des musiques afro-américaines. En ce 25 décembre, ce n’est pas difficile de trouver un terme, il s’agit de Santa Claus, qui se traduit en français par Père Noël ! Dans les chansons des bluesmen, on trouve aussi les graphies Sandy Claus, Santy Claus, mais nous verrons bien vite que le sens est détourné. Pour s’en tenir au sens originel, on doit sans doute le premier « blues de Nöel », appelons-le ainsi, à un groupe de jazz, les Red Onion Jazz Babies, qui enregistrèrent Santa Claus blues le 26 novembre 1924. Une formation qui comprend quand même en son sein Louis Armstrong au cornet et Buster Bailey à la clarinette ! Bien entendu, depuis cette date, un nombre incalculable d’artistes, y compris de blues, réalisèrent des chansons, et même souvent des albums, dans cet esprit.

© : Spotify.

Mais il existe un « envers du décor », un de ces doubles sens que les bluesmen manient mieux que quiconque dans leurs textes. En effet, Santa Claus désigne aussi les parties génitales, de l’homme comme de la femme. Mais alors, me direz-vous, quel rapport avec le Père Noël ? C’est pourtant simple : à Noël, on se laisse aller, on boit plus que de raison, ce qui peut nous conduire dans une euphorie ambiante à « déballer la marchandise ou les paquets », autrement dit montrer nos organes sexuels. Les paroles de quelques chansons ne permettent pas le doute. Ainsi dans Cherry ball par Mississippi Brac(e)y en 1930 : « Ne donnez plus de cerises à l’alcool à ma chérie, car ça va la saouler et elle va vous montrer sa Santa Claus. » Ou bien New dirty dozen par Memphis Minnie en 1930 : « Ta tante, ton oncle, ta mère et ton père étaient tous bourrés, ils ont sorti leurs Santa Claus. »

© : Traveler into the Blue.

On peut aussi associer Santa Claus au terme chimney (cheminée), en lien avec le Père Noël qui passe par la cheminée non pas pour apporter des cadeaux mais pour procurer du plaisir (chimney désignant alors le sexe féminin), par exemple dans la chanson Santa Clausde Bo Chatman en 1938 : « S’il te plaît chérie, laisse ton Santa Claus descendre dans ma cheminée, car je pense que ce que Santa Claus m’apporte satisfera mon appétit. ». En 1949, les paroles de Let’s make Christmas merry baby par Amos Milburn sont dans la même veine : « Rendons ce Noël heureux, chérie, laisse-moi être ton Santa Claus, je veux glisser dans ta cheminée jusqu’à ce que tes chaussettes soient pleines de jouets. » En 1968, Louis Jordan reprendra la chanson Santa Claus, Santa Claus, une composition de Teddy Edwards, et l’année suivante, Sonny Boy Williamson II sortira Santa Claus, avec une approche différente. Enfin, en 2019, Keb’ Mo’ enregistrera Santa Claus blues, dans un registre toutefois plus « soft ».

© : Spotify.

Je vous propose maintenant des liens pour écouter les chansons citées dans cet article, et je vous souhaite une nouvelle fois un joyeux Noël.
New dirty dozen par Memphis Minnie le 1er juillet 1930.
Cherry ball par Mississippi Brac(e)y le 17 décembre 1930.
Santa Claus par Bo Carter le 22 octobre 1938.

© : Stefan Wirz.

Let’s make Christmas merry baby par Amos Milburn en octobre 1949.
Santa Claus, Santa Claus par Louis Jordan en 1968.
Santa Claus par Sonny Boy Williamson II en 1969.
Santa Claus blues par Keb’ Mo’ en 2019.

Sonny Boy Williamson II. © : Deezer.

(*) Rubrique réalisée avec entre autres sources les archives de la Bibliothèque du Congrès à Washington et les livres Talkin’ that talk – Le langage du blues et du jazz de Jean-Paul Levet (Outre Mesure, 2010), Barrelhouse Words – A Blues Dialect Dictionary de Stephen Calt (University of Illinois Press, 2009) et The Language of the Blues: From Alcorub to Zuzu de Debra Devi (True Nature Records and Books, 2012).

Keb’ Mo’. © : Nashville.com