Au programme de mon émission sur YouTube, Viola McCoy (rubrique « Un blues, un jour »), et Simon Arcache, Raphaël Evrard et Clément Prunet (rubrique « Blues in France ») avec en illustration musicale Mother Pauline et Elder James Goins.
Le 6 février 1820, le vaisseau Elizabeth (un brick), qui sera ensuite plus connu sous le nom de Mayflower of Liberia, lève l’ancre à New York et met le cap sur la Sierra Leone en Afrique de l’Ouest. L’opération est mise sur pied par une société de colonisation américaine fondée quatre plus tôt, l’American Colonization Society (ACS), et il s’agit tout simplement du premier retour organisé de Noirs libres (ou d’esclaves affranchis) des États-Unis vers le continent africain. Le choix se porta sur la Sierra Leone car ce pays acceptait sur son territoire aussi bien les affranchis que les esclaves en fuite. Avec 88 affranchis à bord, l’Elizabeth touche terre le 9 mars 1820 sur l’île Sherbro, près de la côte au sud-ouest de la Sierra. Mais, à cause des maladies qui causent de nombreux décès parmi les nouveaux arrivants et sous la menace de la traite négrière qui se poursuit, les survivants s’installent cette fois au Libéria. Ils prennent d’abord pied sur l’île Providence (aussi appelée Perseverence Island), colonisent ensuite le site du cap Mesurado et fondent en 1822 Monrovia, la capitale du Liberia.
D’autres retours similaires se produiront au XIXe siècle mais l’histoire n’est pas aussi belle que cela. En effet, l’ACS, évidemment gérée par des Blancs, en poussant ainsi les Noirs à repartir en Afrique, ne mesure pas nécessairement les conditions qui les attendent, notamment sanitaires. Ainsi, durant les vingt ans qui suivent l’arrivée des premiers affranchis en 1820, sur un nombre total compris entre 4 000 et 5 000 personnes, près des deux tiers des colons meurent des suites de diverses maladies. Le mouvement continuera toutefois et prendra plus tard le nom de Back-to-Africa, le retour vers l’Afrique. Il connaîtra en quelque sorte un apogée dans les années 1920 avec le leader Marcus Garvey, qui ira jusqu’à créer la Black Star Line il y a tout juste un siècle, une compagnie transatlantique pour inciter les Noirs à retourner en Afrique, et qui existera de 1919 à 1922. Et justement, à peu près à la même époque, la chanson West Indies Blues faisant directement allusion à Garvey apparaîtra (même si elle évoque plutôt un voyage s’arrêtant aux Antilles…), notamment interprétée par des chanteuses de blues classique comme Esther Bigeou en 1923, puis Viola McCoy et Clara Smith en 1924. J’ai choisi pour mon émission la version de McCoy car on y entend un harmoniciste (Robert Cooksey), ce qui était très rare à l’époque.
Ce sont les hasards du calendrier, mais la rubrique « Blues in France » du jour concerne comme la semaine dernière une collaboration franco-américaine. Je précise sans attendre que je dois cette information au site de la revue Soul Bag que je remercie bien entendu chaleureusement. Après le beau projet « Muddy Gurdy », je m’arrête aujourd’hui sur trois musiciens français qui savent parfaitement s’exporter. En effet, depuis 2012, Simon Arcache, Raphaël Evrard et Clément Prunet travaillent avec la Music Maker Relief Foundation de Tim Duffy. Pour mémoire, cette fondation œuvre depuis maintenant 25 ans à Hillsborough en Caroline du Nord, où elle aide des bluesmen, principalement originaires des États du Sud, à enregistrer des disques et à prendre part à des tournées, ce qu’ils n’auraient pas nécessairement les moyens de faire par eux-mêmes.
Nos trois musiciens français ont ainsi participé en 2014 à l’album d’Ironing Board Sam, intitulé « Ironing Board Sam and the Sticks ». Mais ce n’est pas tout. Car à partir de 2016, sur la base de bandes réalisées à cappella de différents artistes Music Maker, ils sont intervenus en production et au mixage pour obtenir une série de morceaux complets, ce qui concerne aussi bien des bluesmen disparus que d’autres toujours actifs. Pour se faire une idée, voici une liste de quelques noms qui vous diront sans doute quelque chose car les tournées Music Maker sont souvent passées par chez nous : Guitar Gabriel, Dr. Burt, Neal Pattman, Ironing Board Sam, Etta Baker, Captain Luke, Alabama Slim, John Dee Holeman, Taj Mahal, Essie Mae Brooks, et Mother Pauline et Elder James Goins. Tout ce travail a été effectué au studio de la fondation qui porte le doux nom de Grotto. Et en fin d’année dernière, ladite fondation a donc mis en vente en ligne, uniquement en version digitale, ces enregistrements simplement baptisés « Grotto Sessions ». Voici sommes donc bien en présence d’un très bel exemple de la reconnaissance du savoir-faire français, et bravo à messieurs Arcache, Evrard et Prunet. Pour illustrer cela dans mon émission, j’ai pris le superbe clip un peu churchy de Mother Pauline et Elder James Goins, avec un morceau intitulé Children Go Where I Send Thee.
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