Ce 15 avril 2022, Art Rupe nous a donc quittés, il est vrai à l’âge plus que vénérable de cent quatre ans ! Il naît Arthur Newton Goldberg le 5 septembre 1917 à Greensburg en banlieue de Pittsburgh, Pennsylvanie, et découvre le gospel dans une église afro-américaine de son quartier. En 1939, il s’installe à Los Angeles et entre à la fameuse université de Californie, où il compte tracer son chemin dans l’industrie du cinéma. Mais la Seconde Guerre mondiale le rattrape, et il se retrouve sur un chantier naval à l’entretien des Liberty ships, ces cargos affectés au transport de troupes et de matériel…
Le jeune entrepreneur, qui semble également changer de nom à ce moment-là, Goldberg devenant Rupe, décide de se tourner vers la musique. Il achète pour deux cents dollars de disques de musiques afro-américaines, qu’il étudie attentivement pour déterminer les styles susceptibles d’être les plus vendeurs. Après un premier essai au sein de la petite marque Atlas, qui sera quand même la première à enregistrer les Johnny Moore’s Three Blazers, il s’associe avec Ben Siegert pour fonder Juke Box en 1944. Malgré la présence d’artistes comme Roosevelt Sykes et Roy Milton, ainsi que des ventes encourageantes, Rupe préfère poursuivre l’aventure seul et lance l’année suivante (ou en 1946, les sources varient) un nouveau label, Specialty.
Au catalogue, apparaissent rapidement des formations de gospel et de R&B (The Southern Harmonizers et Joe Lutcher), deux genres très présents dans les premières années de Specialty. En outre, concernant le gospel, il ne s’agit pas des premiers venus car on relève les noms des Pilgrim Travelers, de Brother Joe May, des Soul Stirrers (le sublime Jesus gave me water sera en 1951 leur premier hit avec Sam Cooke au chant lead) et des Swan Silverstones. Et c’est comparable côté R&B avec encore Roy Milton, Camille Howard, Jimmy Liggins, Wynona Carr, Don et Dewey (que nous évoquons dans le numéro 246 de Soul Bag actuellement en vente), etc. Les bluesmen sont moins nombreux, mais on note quand même des artistes renommés dont Smokey Hogg, Big Maceo, Percy Mayfield (Please send me someone to love en 1950), Floyd Dixon, Guitar Slim (The things that I used to do en 1953)… En 1957, Sam Cooke retrouve Rupe, qui est donc à l’origine de sa « deuxième » carrière dans la musique séculière et bien sûr la soul.
Le propriétaire de Specialty jouera également un rôle essentiel dans l’émergence du rock ‘n’ roll en découvrant tout d’abord Lloyd Price (Lawdy Miss Clawdy en 1952 avec Fats Domino au piano !). Ce sera ensuite Little Richard avec des standards comme Tutti frutti (1955), Long tall Sally (1956), Lucille et Keep a knockin’ (1957), Good Golly Miss Molly (1958, même si Big Maybelle l’avait déjà gravée trois ans plus tôt)… Ceci dit, même si on a connu pire dans le domaine, il convient de se souvenir que Rupe versait des royalties à un taux très bas. Richard dut ainsi céder les droits de Tutti frutti pour cinquante dollars, chaque disque lui rapportant ensuite un demi-cent. En 1959, il entama une action en justice et récupéra 11 000 dollars. À partir des années 1960, Rupe s’éloigne du monde de la musique et se consacre davantage à des investissements dans le pétrole. Il attend 1990 pour vendre Specialty à Fantasy, ces deux marques appartenant aujourd’hui au groupe Concord, ce qui permet que le catalogue soit réédité. Quant à Art Rupe, il aura joué un rôle notable dans le domaine des musiques afro-américaines dans les années 1950, à une époque où elles étaient en pleine évolution.
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