Blues in France copie

Au programme de mon émission sur YouTube, Johnny Copeland (rubrique « Un blues, un jour »), et Christian Lightnin’ E (rubrique « Blues in France »).

Le 27 mars 1937 est le jour de naissance de l’un des plus brillants représentants du blues texan, le chanteur et guitariste Johnny Copeland, qui aurait donc dû fêter ses 82 ans aujourd’hui. Artistiquement (et logiquement) associé au blues du Texas, il naît pourtant à Haynesville, au nord de la Louisiane. Mais il n’a que 6 mois quand ses parents se séparent, et il grandit chez sa mère partie vivre à Magnolia en Arkansas, juste de l’autre côté de la frontière. Son père décède en 1939, et bien qu’il n’ait pas entretenu de véritables relations avec son fils, celui-ci « hérite » de sa guitare, ce qui ne sera évidemment pas sans conséquence sur la suite de son parcours. En outre, l’année suivante, la famille part cette fois pour Houston, où la scène musicale est bien plus développée. Le jeune Johnny est ainsi rapidement au contact de figures du blues texano-californien qui se produisent souvent à Houston, dont Clarence « Gatemouth » Brown, Lowell Fulson et surtout T-Bone Walker, et qui seront sans surprise ses premières influences. Il rencontre aussi un autre chanteur et guitariste né la même année que lui, Joe « Guitar » Hughes (1937-2003), qui devient un proche et avec lequel il forme les Dukes of Rhythm, un groupe dans lequel il débute étrangement à la batterie avant de retrouver son instrument de prédilection.

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Ses premiers singles datent de 1958 (pour Mercury) mais il n’a pas encore vraiment choisi son style même s’il préfère le blues, et à cette époque il s’exprime d’ailleurs aussi bien dans le R&B, le rock ‘n’ roll et la soul… Parallèlement, il pratique la boxe et en tire un surnom, Clyde. Côté musique, dans les années 1960, il se contente essentiellement de faire des singles pour plusieurs petits labels sans que cela se traduise par un succès significatif. Il faut toutefois noter un titre gravé en 1962, Down on Bended Knees, qui deviendra plus tard un de ses classiques et même un morceau phare du blues texan. Mais au fil du temps, la scène de Houston ne cesse de décliner, et même s’il parvient à s’en sortir un peu en travaillant dans la soul, prenant part à des tournées auprès d’artistes de la stature d’Eddie Floyd et d’Otis Redding, il se résout à quitter cette ville à laquelle il est pourtant très attaché. Il met le cap sur New York en 1975.

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Après être devenu en 1979 le père de Shemekia, une des meilleures chanteuses de blues actuelle, il s’installe peu après parmi les bluesmen les plus importants de la ville, même si sa musique reste très ancrée dans la tradition du Texas, un héritage auquel il tient tout particulièrement. Le succès est enfin au rendez-vous et c’est mérité tant ses qualités éclatent au grand jour : car Johnny Copeland, c’est déjà une voix énorme, puissante et expressive, mais aussi un jeu de guitare d’une rare intensité qui frappe et étreint dès les premiers instants. Il s’impose donc au niveau international, est très sollicité pour des tournées et des festivals, et sort une série d’albums remarquables. Ça commence dès le premier, superbe, « Copeland Special » (Demon, 1981), mais « Showdown » (Alligator, 1985), avec Robert Cray et Albert Collins, est du même très haut niveau. Un cran en dessous, « Make My Home Where I Hang My Hat » (Rounder, 1982), « Texas Twister » (Rounder, 1983), « Boom Boom »(Rounder, 1989) et « Catch Up With the Blues » (Verve/Gitanes, 1993) restent consistants et très recommandables. Il faut y ajouter une compilation de deux CD qui rassemble d’excellentes faces de sa première partie de carrière, « It’s Me – Classic Texas Soul 1965-72 » (Kent Soul, 2013). Mais il souffre aussi de problèmes cardiaques, et le 3 juillet 1997, six mois après une transplantation du cœur, il décède à l’âge de 60 ans. J’ai choisi dans mon émission un extrait de son album « Boom Boom », un morceau qui illustre parfaitement ses qualités et que j’adore, Cut Off My Right Arm.

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Passons maintenant à l’artiste concerné par la rubrique « Blues in France » du jour. Sur les réseaux sociaux, au pied d’une scène lors d’un concert, dans la coulisse d’un festival, vous l’avez sans doute déjà croisé. Il s’agit de Christian Esther, qui se fait plus volontiers appeler Christian Lightnin’ E. Christian est un activiste incontournable du blues en France depuis quatre bonnes décennies, un vrai connaisseur toujours soucieux de partager sa passion et ses impressionnantes archives photographiques, dont nous avons tous profité à un moment ou un autre, par exemple sur Facebook. Mais c’est aussi un compositeur et musicien émérite, chanteur, et guitariste, adepte de la slide sous toutes ses déclinaisons, mais également à l’aise dans le fingerpicking typé Côte Est ou le jeu « standard » d’un Lonnie Johnson. On lui aussi déjà l’initiative du CD « Blues Against Racism », réalisé avec un collectif de musiciens et de groupes français.

Mais, et c’est notre propos aujourd’hui, il vient donc de réaliser une belle et complète rétrospective de ses enregistrements intitulée « Paris Suburb Blues Style – Uncomplete, Unchronological Recordings 1977-2017 », qui comme son titre le suggère couvre justement quatre décennies. Au chant, Christian ne triche pas et s’implique suffisamment pour s’exprimer avec émotion. Il sait être déclamatoire en rappelant un peu Lead Belly (Motherless Children), qu’il reprend également (Bourgeois Blues), et passe avec sensibilité l’examen délicat et jamais facile de l’hommage à Skip James (Skip Song Blues). Pour mieux cerner l’étendue de ses aptitudes dans le domaine, il est également intéressant de l’écouter avec une voix plus juvénile mais déjà affirmée en 1977, comme sur Drifting Blues et Come on in My Kitchen, très dépouillé. Certaines plages sont en revanche plus « sages », comme Long Tall Girl, Take Me Back, Sam Ku West Blues sous influence Mississippi John Hurt, Corrinna soulignée de mandoline… Il propose aussi des compositions bien dans l’esprit, comme My Blues Ain’t Bad et ses mots simples qui font mouche (« Je te jouerai mon blues, tu te sentiras bien… »), et l’humour est aussi au rendez-vous, voir Twin Sisters Blues.

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Côtés guitares, et guitares au pluriel, picking standard, slide, steel, résonateur, hawaïenne, tout y passe avec brio et souvent beaucoup d’intensité. Les amateurs de glissandos tous azimuts se régaleront dès l’ouverture (Got the Blues), ou avec My Blues Ain’t Bad, Come on in My Kitchen, l’impressionnant Sliding in the Dark Picking in the Light, l’instrumental Chilly Sunday Blues, le lancinant Candy Man… Si vous aimez le blues de la Côte Est, prêtez une oreille attentive à Police Dog Blues et Bad Bug Blues, entre autres. Ce panorama ne serait pas complet sans citer quelques titres originaux et même audacieux, comme cet instrumental inspiré de Lonnie Johnson et sa guitare électrique brûlante (With Lonnie’s Guitar in My Mind), et cette étonnante lecture de Candy Man avec chœurs et percussions. Au bilan, cette rétrospective généreuse de 25 morceaux, qui ne lasse jamais tant elle est variée, respectueuse mais certainement pas scolaire, semble bien à l’image du caractère entier de Christian. Pour illustrer cela dans mon émission, j’ai opté pour la composition My Blues Ain’t Bad.

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