Au programme de mon émission sur YouTube, Corey Harris (rubrique « Un blues, un jour ») et Ike Turner (rubrique « Blues in France»).
Nous allons remonter au 16 mai 1901, quand Ida B. Wells publia dans le magazine Independentune étude intitulée « Lynching and the Excuse for It », qui révèle que les lynchages ont fait environ 2 000 morts entre 1885 et 1900. Un rapide calcul nous apprend que cela fait une moyenne de près d’un lynchage tous les trois jours, et ce sur une période de 15 ans… Née le 16 juillet 1862 à Holly Springs, en pleine région du Hill Country Blues du nord du Mississippi, Ida Wells est issue de parents esclaves, mais elle deviendra libre avec la Proclamation d’émancipation le 1er janvier 1863. À 16 ans, elle perd ses parents et un frère lors d’une épidémie de fièvre jaune. Comme elle est l’aînée d’une famille qui comptait huit enfants à l’origine, elle doit s’occuper de ses frères et sœurs avec sa grand-mère. Ce qui ne l’empêche pas de suivre de brillantes études qui lui permettent d’abord d’exercer comme institutrice.
Mais la jeune femme se consacrera ensuite au journalisme en s’intéressant de près à la politique, un domaine dans lequel son père était très impliqué. En 1884, alors qu’elle voyageait en première classe en train, et avant d’autres dans des circonstances similaires (on pense à Arthur Wergs Mitchell en 1937, et bien sûr à Rosa Park dans un bus en 1955), elle refusera de laisser sa place à une Blanche. Elle se fera expulser, engagera une procédure en justice qui durera trois ans et se terminera en sa défaveur. Cet incident sera toutefois décisif et fera également d’elle une pionnière de la lutte pour les droits civiques et pour le droit de vote des femmes. En 1909, Ida B. Wells fit partie des fondateurs de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), et elle mènera de nombreuses actions pratiquement jusqu’à sa mort le 25 mars 1931 à 68 ans. Pour donner une idée de son importance et de son influence, certaines sources la désignent comme « la femme noire la plus célèbre des États-Unis »…
Parmi d’autres ouvrages, Ida B. Wells nous laisse sur le thème des lynchages deux ouvrages, Southern Horrors: Lynch Law in All Its Phases (1892) et The Red Record (1895), plus axé sur les statistiques. Les lynchages des Noirs se poursuivront au début du XXe siècle, et ils ne diminueront significativement que dans les années 1920. On comptera même encore des cas jusque dans la deuxième moitié des années 1940, après la Seconde Guerre mondiale. À partir 1882, date de publication des premières statistiques précises, et jusqu’en 1946, on estime que les lynchages firent près de 5 000 morts chez les Afro-Américains. De telles horreurs sont décrites dans les textes des bluesmen, d’autant que certains d’entre eux en ont été témoins, ou bien parce que les victimes étaient des membres de leurs propres familles. C’est le cas de Corey Harris, dont un oncle, Wade Fiddmont, a été lynché en Arkansas. Âgé de 50 ans, chanteur, guitariste et compositeur, Harris et également diplômé en anthropologie, spécialiste de certains dialectes africains et professeur de langues, il parle d’ailleurs très bien le français. On va donc l’écouter en 2009 avec sa chanson inspirée du lynchage de son oncle, qui s’appelle simplement Lynch Blues.
Notre réédition du jour concerne Ike Turner et on la doit une fois encore au label Jasmine qui ne ménage décidément pas sa peine pour maintenir en vie un patrimoine musical essentiel. L’anthologie s’intitule « Trailblazin’ the Blues » et porte sur la période 1951-1957, soit les premières années de cet artiste avant qu’il n’accède à une renommée mondiale avec sa femme Tina Turner. On y retrouve donc évidemment le fameux Rocket 88gravé en 1951 dans le groupe de Jackie Brenston, et dont il ne fait plus guère de doute aujourd’hui qu’il s’agit bien du premier rock ‘n’ roll de l’histoire… Né le 5 novembre 1931 à Clarksdale, Ike Turner fut un pionnier du blues moderne et du R&B dans la première moitié des années 1950, tout en étant donc un précurseur du rock ‘n’ roll. Il jouait du piano, chantait d’une voix très basse et jouait de la guitare avec un trémolo vibrant particulièrement caractéristique.
Mais ce n’est pas tout, il fut également un compositeur avisé, un découvreur de talents et même un producteur qui joua un rôle non négligeable dans le lancement de carrières d’artistes comme Bobby Bland, Elmore James, Boyd Gilmore, Baby Face Turner, B.B. King et Little Milton, pour citer les plus notables. Ils figurent sur cette anthologie qui compte 60 morceaux répartis sur 2 CD, aux côtés de figures moins illustres dont Drifting Slim, Sunny Blair, Brother Bell, Johnny O’Neal, Eugene Fox, Charley Booker, Clayton Love, Billy Gale, Matt Cockrell, The Trojans, Johnny Wright, Billy Gayles… Il me semble donc particulièrement important de rappeler le rôle joué à cet époque par Ike Turner, généralement complètement oublié de nos jours au profit de sa seconde carrière, et même s’il revint franchement au blues durant ses dernières années (il nous a quittés le 12 décembre 2007 à 76 ans). Pour cette raison, je vais consacrer deux émissions à cette anthologie, aujourd’hui et jeudi prochain. Je vous propose de commencer avec un morceau enregistré en 1952 avec Bonnie Turner, également chanteuse et pianiste et qui n’est autre que sa première femme… Ça s’appelle Love Is a Gamble.
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