Figure centrale des droits civiques, James Meredith est blessé par balles le 6 juin 1966 alors qu’il a entamé la veille sa March Against Fear (Marche contre la peur) entre Memphis et Jackson. Pour bien comprendre comment nous en sommes arrivés à ce fait divers dramatique, un résumé historique s’impose. Né le 25 juin 1933 à Kosciusko, Mississippi, Meredith s’engage dans armée de l’air en 1951 après l’obtention de son certificat d’études. Après avoir servi jusqu’en 1960, il reprend ses études à l’université d’État de Jackson, la capitale du Mississippi. Mais il ne s’en contente pas. Depuis un arrêt de la Cour suprême en 1954, la ségrégation raciale est inconstitutionnelle dans l’enseignement public aux États-Unis. Une loi toutefois très diversement appliquée, voire bafouée dans les États ségrégationnistes du Sud comme le Mississippi.
James Meredith le sait sans doute, et il décide de devenir le premier étudiant afro-américain admis à la très prestigieuse université du Mississippi, dite « Ole Miss », située à Oxford au nord de l’État. Meredith, qui considérait Ole Miss comme « un symbole du prestige et de la puissance blanche réservé aux enfants de l’élite de l’État » (article « James Meredith and the Integration of Ole Miss » par Nadine Cohodas, The Journal of Blacks in Higher Education, été 1997), et qui postulait pour « mon pays, ma race, ma famille et moi-même », ajoutera : « Je n’ai pas été spécialement choisi (…), cela relevait de la responsabilité divine. » Au lendemain de l’investiture du nouveau président John Fitzgerald Kennedy le 20 janvier 1961, Meredith envoie sa candidature sans révéler sa couleur de peau. Quand les responsables de l’université l’apprennent, ils retardent les procédures et refusent deux fois sa candidature. Meredith est alors conseillé par Medgar Evers (notre article du 28 avril 2023), cadre de la National Association for the Advancement of Colored People et militant des droits civiques qui sera lâchement assassiné en 1963.
L’affaire va prendre une dimension nationale et internationale en 1962. Malgré le soutien de l’administration Kennedy, Meredith se heurte sur place à une féroce opposition de suprémacistes blancs, emmenée par des membres influents du Ku Klux Klan, le gouverneur du Mississippi Ross Barnett et le général ultraconservateur (bien que démocrate) Edwin « Ted » Walker. L’arrivée sous protection fédérale le 30 septembre 1962 de James Meredith sur le campus entraîne de violentes émeutes qui font deux morts (dont l’envoyé de l’agence France-Presse Paul Guihard) et des centaines de blessés. Walker ne trouve rien de mieux que d’inciter par radio 10 000 participants à converger vers Ole Miss pour « rejoindre la cause de la liberté » (au fait, ça ne vous rappelle pas quelque chose ?). Kennedy n’a d’autre ressource que d’envoyer les troupes fédérales, et au final plus de 30 000 hommes sont mobilisés pour rétablir l’ordre à Ole Miss. Témoin du chaos, le magazine Time écrira que le pays n’avait pas connu de telles tensions depuis… la guerre de Sécession !
Pour sa part, dès le lendemain, le 1er octobre 1962, James Meredith commence à suivre des cours à Ole Miss, dont il devient très officiellement le premier étudiant afro-américain. Il en ressort le 18 août 1963, auréolé d’un diplôme en sciences politiques. Durant toute cette période, il est resté sous protection policière. Le prix à payer pour la liberté, sans doute. Et une porte ouverte vers une liberté légitime pour tant d’autres. Meredith continue ensuite de s’investir pour les droits civiques, et nous en arrivons à l’événement qui fait le titre de cet article. En 1966, il décide d’organiser une marche en solitaire, la March Against Fear, censée le mener de Memphis, Tennessee, à Jackson, Mississippi, en traversant du nord au sud la région du Delta. Le 5 juin, il part donc pour un périple de 350 kilomètres. Hélas, l’aventure tourne court. Dès le lendemain, dans l’après-midi du 6 mars, vers 16 heures, alors qu’il est accompagné de cinq sympathisants, un homme caché dans les buissons en bord de route surgit et lui tire dessus avec une carabine à plombs pour la chasse aux oiseaux !
Atteint au côté droit en plusieurs endroits, à la tête, au cou, aux jambes, il chute avant d’être secouru par ses accompagnateurs. Ses blessures ne sont pas graves mais il doit être hospitalisé. Son agresseur est rapidement interpellé et identifié. Âgé de quarante ans, sans emploi, membre du Ku Klux Klan, il s’appelle Aubrey James Norvell et s’empresse de dire qu’il ne visait que Meredith. Il sera condamné à cinq ans de prison mais ne purgera que dix-huit mois. Norvell voulait sans doute agir discrètement, mais son insondable bêtise lui a fait oublier que Meredith était une personnalité publique très connue, notamment suite aux événements de 1962 à Ole Miss. Dès lors, il n’a visiblement pas pensé un seul instant que Meredith, même pour une marche dite « en solitaire », serait sans doute suivi par la presse. Ce fut bien le cas ce 6 juin 1966, quand Jack R. Thornell, qui faisait partie des quelques journalistes présents, fut le plus prompt à appuyer sur le déclencheur de son appareil au moment où Meredith chutait, atteint par les plombs d’un Norvell que l’on voit bien à gauche de l’image ! Norvell, qui œuvrait alors pour Associated Press, sera récompensé l’année suivante du prix Pulitzer pour cette photo…
La Marche contre la peur ne s’arrêtera pas durant la convalescence de Meredith, bien au contraire. Elle se poursuivra sans lui, sans cesse grossie par des membres des principales associations du mouvement des droits civiques, qui recueilleront plus de 4 000 nouvelles adhésions en chemin. Walter Reuther, leader blanc influent des activistes des droits civiques, viendra de Chicago avec dix bus remplis de supporters. Enfin, Martin Luther King participa également à l’événement qui rassemblait 15 000 personnes à son entrée à Jackson le 26 mars 1966, pour conclure cette marche des droits civiques qui demeure la plus importante de l’histoire du Mississippi. Quant à Meredith, remis de ses blessures, il retrouva aussi sa place à la fin de la marche, tout en convenant qu’il aurait préféré qu’elle reste plus conforme à sa volonté originelle plus « discrète »…
La suite du parcours de James Meredith est plus déroutante. Toujours en 1966, il publie Three Years in Mississippi (University Press of University), qui revient essentiellement sur ses années universitaires. Mais dès l’année suivante, il adhère au parti républicain, puis assure que le concept des droits civiques est insultant, soutient le ségrégationniste Ross Barnett et même David Duke, ancien membre influent du Ku Klux Klan, candidat à la Chambre des représentants en Louisiane. Il dira toutefois avoir manipulé ce dernier. Difficile de séparer le vrai du faux sachant le passé de Meredith, toujours de ce monde et qui fêtera ses quatre-vingt-dix ans le 25 ans prochain. En 2018, dans le cadre de l’exposition I Am a Man – Photographies et luttes pour les droits civiques dans le Sud des États-Unis, 1960-1970 au Pavillon populaire de Montpellier, Meredith était d’ailleurs l’invité des élus locaux aux côtés de William Ferris. À lire également, mon article dans le numéro 204 de Soul Bag (rubrique « Road Story »), suite à ma visite à Ole Miss.
La Marche contre la peur de James Meredith est liée au blues, ne serait-ce qu’au niveau de l’itinéraire, qui, pour relier Memphis à Jackson, doit passer notamment passer par Hernando, Grenada, Greenwood, Indianola, Belzoni, Yazoo City et Canton. Une véritable route du blues ! Nous n’avons dès lors eu aucun mal à établir une sélection de chansons par des bluesmen rattachés à ces localités…
– Cottonfield blues en 1929 par Garfield Akers, qui passa l’essentiel de son existence à Hernando.
– Crazy woman en 1998 par Magic Slim, qui grandit à Grenada.
– Don’t you remember? En 2004 par Nora Jean Bruso, native de Greenwood.
– Scratch my back en 2007 par Little Arthur Duncan, natif d’Indianola.
– I believe I’ll settle down en 1953 par Boyd Gilmore, natif de Belzoni.
– Black men blues en 1929 par Mary Johnson, native de Yazoo City.
– Sweet home en 1962 par le Reverend Cleophus Robinson, natif de Canton.
– Shot on James Meredith en 1966 par J.B. Lenoir, chanson écrite spécialement suite aux tirs sur Meredith le 6 juin 1966.
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