© : Thibault Camus / AP / SIPA.

30 novembre 2021. Josephine Baker entre au Panthéon, et Éric Zemmour officialise sa candidature à la prochaine édition présidentielle. Cherchez l’erreur. Ici, je n’aurai évidemment qu’un amour, Josephine… En visitant son château des Milandes en Dordogne il y a quelques années, je croyais savoir pas mal de choses sur Josephine Baker. Mais les vieilles pierres savent toujours révéler des secrets qu’elles aiment justement réserver à celles et ceux qui daignent venir à leur rencontre. Histoire de bien tarauder le tréfonds de notre être. En sortant des Milandes, une seule image me restait en tête, celle de Josephine Baker prostrée sur le perron de son château dont on venait de l’expulser comme une malpropre. Telle une « verminarde », une ivraie dont il faut débarrasser le bon grain.

À deux ans. © : Getty / France Musique.

Celle-là même qui entre aujourd’hui au Panthéon. Aux côtés de Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Victor Hugo, Émile Zola, Jean Moulin, Pierre et Marie Curie, André Malraux, Alexandre Dumas… Parmi les six femmes au Panthéon (contre quatre-vingts hommes), Josephine Baker est la première noire, en l’occurrence afro-américaine. Je ne m’attarderai pas ici sur la deuxième partie de son parcours, qui correspond peu ou prou à l’époque qui suit son arrivée en France en 1925. Sa carrière de vedette de music-hall et de meneuse de revue, son rôle de résistante durant la Seconde Guerre mondiale et plus tard de militante pour les droits civiques, sa période au château des Milandes et ses dernières années à Paris sont autant de sujets largement traités ces derniers jours dans les médias, et je ne vois évidemment pas quel élément nouveau je pourrais y apporter (Josephine Baker nous a quittés le 12 avril 1975 à soixante-huit ans).

En 1919, à treize ans, elle tourne avec le Jones Family Band and the Dixie Steppers. © : Roger Viollet / Getty Images.

En revanche, il peut être opportun de considérer ses débuts, souvent oubliés, et une courte période de la seconde moitié des années 1920 durant laquelle ses enregistrements correspondent au spectre de ce site. Elle est donc née Freda Josephine McDonald le 3 juin 1906 à Saint-Louis, Missouri, d’une mère adoptée par des esclaves et d’un père… dont on n’est pas sûr qu’il soit bien son père ! Danseuse depuis sa plus tendre enfance, Josephine fait aussi des ménages pour aider sa mère qui doit élever les trois enfants qu’elle a eus avec un autre homme. Une enfance miséreuse marquée par le racisme. En 1917, à onze ans, Baker est témoin de violences raciales, dont elle dira plus tard : « Je me vois encore, debout sur la berge du Mississippi à regarder vers East Saint-Louis [sur l’autre rive du fleuve] la lueur de l’incendie des maisons des Noirs qui illuminait le ciel. Nous les enfants, étions blottis les uns contre les autres, consternés et morts de peur en entendant les cris des familles noires qui traversaient le pont avec seulement ce qu’ils avaient sur le dos. Et, emplie de cette vision, j’ai couru, couru, couru… » (source : « Racial memory: Clear as Black and White », St. Louis Public Radio, Harper Barnes).

À l’époque de son deuxième mariage en 1921. © : Harpersbazaar.

En 1918, Baker quitte l’école et se marie l’année suivante, à treize ans ! L’union ne dure pas et la jeune fille se produit de plus en plus comme artiste de rue, avant de se marier une nouvelle fois en 1921, à quinze ans, avec Willie Baker dont elle gardera le nom… Ne manquant pas d’aplomb (et d’ambition), elle part malgré son jeune âge tenter sa chance à New York, où elle se fait rapidement engager dans différentes revues de Broadway ! Mais le grand tournant de sa vie se dessine en 1925, sous la forme d’opportunités en France, et plus particulièrement dans le cadre de la création de la Revue Nègre à Paris. Sans parler un mot de français, elle embarque le 25 septembre 1925 et débute dès le 2 octobre dans la revue, sans savoir qu’elle finira sa vie dans notre pays. Son succès est immédiat et considérable. Mais elle trouve le temps d’enregistrer pour le label Odéon en 1926 et 1927 une série de chansons dont certaines ne sont pas sans rappeler le Classic blues : même si la voix de Baker apparaît parfois un peu trop « lyrique » pour le style, elle s’entoure comme ses paires américaines des meilleurs orchestres de jazz européens, notamment français et belges. Je vous propose d’écouter le morceau Lonesome lovesick blues (1927). Dans les années 1930, elle gravera d’autres faces (le français remplaçant progressivement l’anglais), certes de qualité mais dans un registre éloigné des musiques habituellement évoquées ici. En tout cas, l’entrée au Panthéon de Josephine Baker est un événement formidable !