Récolte du coton près de Montgomery, Alabama, 1860. Rare document datant d’avant la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage. © : J. H. Lakin (Josephus Holtzclaw) / Library of Congress.

Nouvel article de ma rubrique qui s’arrête sur des mots et des expressions propres aux textes du blues, dont on ne trouve pas la traduction dans les dictionnaires traditionnels (*). Il s’agit essentiellement d’expliquer le sens de ces termes nés lors de la conception du blues, soit dans les années 1880, en les remettant dans le contexte des compositions des musiques afro-américaines. Je vous propose d’évoquer le terme Black Belt, une ceinture noire qui n’a évidemment rien à voir avec le judo ! Cette Black Belt a deux sens bien établis, le premier purement lié à une région géographique du sud-est des États-Unis, le second aux populations afro-américaines qui devinrent largement majoritaires dans la zone au XIXe siècle.

Famille afro-américaine en Caroline du Nord, 1903. Underwood & Underwood / Library of Congress.

À l’instar du Delta, la Black Belt n’a pas de frontières définies et son étendue peut singulièrement varier, couvrant selon certaines sources deux cents comtés et selon d’autres trois fois plus… Je m’en suis tenu aux limites les plus couramment admises, considérant donc que la région part de la Virginie, traverse les Carolines, la Géorgie, l’Alabama et le Mississippi (englobant la quasi-totalité du Delta), dont elle déborde légèrement à l’ouest en Arkansas, au nord dans le Tennessee et au sud en Louisiane. D’aucuns y ajoutent toutefois la Floride et l’est du Texas. Les premières relations écrites nous ramènent aux années 1810 et citent une Black Belt dont les plaines fertiles du nord-est du Mississippi et de l’Alabama se caractérisent par la couleur noire de leur sol. Une fertilité qui provient de l’érosion du calcaire dans la région de Selma en Alabama (Selma Chalk, la craie de Selma), un ancien plateau océanique. La culture du coton y est très largement dominante, au point que l’on parle également parfois de Cotton Belt, ceinture du coton.

Selma Chalk photographiée en 1914 par le Geographical Survey (« Cretaceous Deposits of the Eastern Gulf Region »), Selma, Alabama. © : Southern Spaces.

Après la guerre de Sécession (1861-1865), la région s’étendra au Delta qui sera progressivement défriché, mais aussi aux États de la Côte Est, soit Virginie, Carolines et Géorgie. C’est justement l’afflux d’esclaves, présents bien plus tôt sur la Côte Est et cultivant également du tabac, qui va donner son deuxième sens à la Black Belt. Il n’est en effet pas rare que les États qui la composent comptent deux fois plus de Noirs que de Blancs. Dès lors, la Black Belt ne désigne plus la région par rapport à la couleur de son sol, mais bien aux populations afro-américaines majoritaires. Nous savons en outre que l’abolition de l’esclavage en 1865 ne signifiera en rien la fin de la servilité pour les Noirs, privés de leurs droits par la ségrégation et les lois Jim Crow à la fin du XIXe siècle. Dans ces États pauvres du Sud, les agriculteurs sont exploités par le système odieux du métayage, ce sharecropping qui fera bien sûr l’objet d’un article futur.

Carte de la Black Belt tirée du livre de James S. Allen, The Negro Question in the United States (International Publishers, 1936). © : History of Yesterday.

Ensuite, un autre fléau frappe la Black Belt, le charançon du cotonnier (boll weevil), qui ravage à grande vitesse les plantations. Arrivé par le Mexique et le Texas à la toute fin du XIXe siècle, l’affreuse bestiole va se répandre dans toutes les régions cotonnières du Sud, dans le Mississippi en 1908, en Alabama en 1909 et dans les États de la Côte Est au début des années 1920. Une situation qui contribue à l’appauvrissement des fermiers, qui sera encore accentué par la Grande Dépression qui débute en 1929. À partir des années 1910, les populations afro-américaines entament alors une migration vers le Nord du pays qui concernera jusque dans les années 1970 quelque six millions de personnes, beaucoup en provenance de la Black Belt. Le pourcentage d’Afro-Américains dans la région dépassait les 50 % au lendemain de la guerre de Sécession. À part dans le Mississippi (environ 37 %), il peine aujourd’hui à dépasser les 25 %, et même les 20 % en Virginie.

Lizzie Miles. © : Courtesy of Louisiana State Museum / 64 Parishes.

Comme le veut la tradition, voici maintenant quelques enregistrements (beaucoup de blues féminin et pianistique) en lien avec le thème du jour.
– Lizzie Miles, Cotton Belt blues le 19 juillet 1923
– Lucille Bogan, Baking powder blues le 18 juillet 1933.
– Victoria Spivey, Big Black Belt, 18 octobre 1962. Chanson à double sens qui n’évoque pas le thème lui-même, mais plutôt des sévices infligés à coups de ceinture…
Documentaire tiré de l’édition 2010 du Black Belt Folk Roots Festival à Eutaw, Alabama (28 minutes).
– Enfin, le remarquable documentaire Alabama Black Belt Blues sur PBS (57 minutes, 2020), disponible gratuitement dans son intégralité, et auquel j’avais consacré un article sur le site de Soul Bag en janvier 2021.

© : PBS.

(*) Rubrique réalisée avec entre autres sources les archives de la Bibliothèque du Congrès à Washington et les livres Talkin’ that talk – Le langage du blues et du jazz de Jean-Paul Levet (Outre Mesure, 2010), Barrelhouse Words – A Blues Dialect Dictionary de Stephen Calt (University of Illinois Press, 2009) et The Language of the Blues: From Alcorub to Zuzu de Debra Devi (True Nature Records and Books, 2012).