© : Repeating Islands.

Du 24 au 27 mai dernier, à l’occasion de la seconde abolition de l’esclavage en Guadeloupe le 27 mai 1848, j’ai publié sur ce site une série intitulée « 1962, premiers enregistrements de terrain en Guadeloupe ». Elle portait sur les travaux de l’ethnomusicologue américain Alan Lomax en 1962, auteur des premières collectes systématiques sur le terrain des traditions musicales des Antilles françaises (Martinique, Saint-Barthélemy et Guadeloupe). Je n’avais pas prévu d’épisode supplémentaire, mais comme je vous le disais dans le quatrième volet, des amis particulièrement avisés dans le domaine* m’ont signalé que des enregistrements de terrain antérieurs à ceux de Lomax dans ces régions existaient. Ils n’étaient certes pas relatifs à la musique, mais outre leur indéniable intérêt historique, ils pouvaient compléter très utilement ma série. Difficile de parler d’un épisode 5 car il ne concerne pas les travaux de 1962 de Lomax, j’ai donc légèrement adapté le titre, qui devient « Enregistrements de terrain en Guadeloupe, les précurseurs », pour ce volet. Je comptais le publier samedi dernier, mais des obligations (j’avoue, le bouclage de Soul Bag !) ne l’ont pas permis. Mais il n’est jamais trop tard, surtout quand il s’agit de commémorer l’esclavage…

Katherine Mary Dunham. © : Black Living Knowledge.

Au lendemain d’une occupation américaine qui s’étend sur près de vingt ans (1915-1934), Haïti, qui n’appartient certes pas aux Antilles françaises mais est francophone, entreprend de se reconstruire. À peu près à la même époque, à Chicago où elle est née, en fait à Glenn Ellyn en banlieue ouest, Katherine Mary Dunham (1909-2006) achève ses études d’anthropologie. Elle fut avant cela une danseuse émérite tout en développant un don inné pour l’écriture (elle sort sa première nouvelle à douze ans). Durant ses études, elle côtoie des personnalités qui partagent ses compétences dont Zora Neale Hurston et Alan Lomax, il n’y a pas de hasard… Et dès 1935, la jeune femme embarque pour Haïti, avec pour objectif l’étude des danses locales. Outre la danse, elle s’intéressera aussi aux rituels du vaudou, au point de devenir plus tard mambo (prêtresse), et s’impliquera à un âge avancé en faveur des réfugiés haïtiens, comme elle le fit pour les droits civiques aux États-Unis. Mais entre-temps, Katherine choisira de s’exprimer dans le domaine de la danse, dont elle deviendra une star internationale. Il n’empêche, elle joua un rôle de premier ordre dans la collecte de folklore dans la Caraïbe.

Page extraite du livre Creole Music of the French West Indies – A Discography, 1950-1959, qui relate notamment des enregistrements de contes dans les années 1920 à Marie-Galante. © : Christian Esther.

Mais ce n’est pas terminé, et remontons encore un peu le temps. Il existe un livre absolument fondamental par Alain Boulanger, John Cowley et Marc Monneraye, Creole Music of the French West Indies – A Discography, 1950-1959 (La musique créole des Antilles françaises : Discographie, 1950-1959, Bear Family, 2015). En 368 pages, l’ouvrage raconte l’histoire des musiques caribéennes depuis 1900, avec les titres des chansons, les dates et lieux d’enregistrement (pas uniquement dans les Antilles mais aussi en métropole), les labels, les noms des musiciens, une vraie mine d’or… S’agissant toutefois plus particulièrement de la Guadeloupe, ces recueils ne concernent pas réellement la musique mais des contes, une autre tradition vivace dans l’archipel. Des travaux souvent menés par une autre anthropologiste et folkloriste américaine, Elsie Clews Parsons (1875-1941). On y trouve même des enregistrements de contes réalisés dans les années 1920 à Marie-Galante, mais ils ont hélas été perdus ou détruits ! Mais en 2017, Parsons fera l’objet chez Didier Jeunesse de Bonnets rouges et bonnets blancs, un conte guadeloupéen à Marie-Galante raconté par Praline Gay-Para et illustré par Rémi Saillard. Enfin, pour conclure cette série qui m’a personnellement passionnée, j’ajoute quelques photos rares et encore plus anciennes… histoire de prouver que les premières traces des traditions guadeloupéennes sont plus que séculaires !

* Christian Esther, aka Christian Lightnin E sur Facebook, est chanteur, musicien, interprète, compositeur et photographe, notamment spécialiste du blues, des musiques hawaïennes et de tout ce qui ressemble à de la slide (guitare, mandoline, voire banjo, ukulélé et diddley bow, il n’a peur de rien), passionné de musique antillaise, défenseur des droits civiques et globalement de l’histoire et de la culture qui vont avec ces traditions intemporelles. Marc Morin, que je connais moins mais qui gagne à être connu, est lui aussi musicien (claviers), spécialiste des enregistrements de terrain, d’autant que sa compagne qui répond au doux nom de Camlamity Mo est tout simplement « John B. Loveless Fellow for the Study of the Alan Lomax Collection at the Library of Congress » (à vos souhaits). Vous en conviendrez, des gens bien placés pour compléter cette série…

Pour finir, je vous propose une série d’images rares et anciennes (1902-1904) de la Guadeloupe, prises par la Keystone View Company, aujourd’hui conservées à la Bibliothèque du Congrès à Washington. De magnifiques documents d’une exceptionnelle qualité qui démontrent que les États-Unis s’intéressèrent très tôt à l’archipel. Pour les cinq dernières photos de cet article, © : Keystone View Company / Library of Congress.

Basse-Terre depuis le cimetière, 1902.

 

Vue sur Les Saintes depuis Trois-Rivières, 1903.

 

Récolte du café, 1903.

 

Bête de somme, 1903.

 

Habitation rurale traditionnelle, 1904.