Otis Taylor, jeune diplômé de soixante-quatorze ans ! © : Evan Semón Photography / The Washington Post.

En 1966, les États-Unis sont en pleine lutte pour les droits civiques et les Afro-Américains restent victimes de ségrégation raciale et de discrimination à différents niveaux, ce qui peut par exemple porter sur la coupe de cheveux. Et justement, en mars 1966, au Manual High School de Denver, Colorado, un lycéen afro-américain de dix-sept ans est à deux mois de recevoir son diplôme de fin d’études, l’équivalent de notre baccalauréat qui ouvre la porte aux études universitaires. A priori, une formalité pour ce bon élève sans histoire originaire de Chicago, passionné de musique et déjà adepte d’instruments comme le banjo et la guitare, qui, pour suivre la mode, arbore une magnifique coupe afro. Hélas, c’est là que le bât blesse. L’administration du lycée le convoque et le deal est simple : soit il se coupe les cheveux, soit il renonce au diplôme. Aujourd’hui, l’artiste en herbe se souvient de sa réponse : « Je leur ai dit « peu importe, au revoir ». Je n’avais pas l’intention d’aller à l’université, je voulais juste faire de la musique, vous savez. » Expulsé du lycée, sans diplôme, il doit en outre affronter la réprobation de ses parents, son père l’encourageant à se rendre chez le… coiffeur !

Otis Taylor à dix-huit ans, avec la coupe de cheveux qui lui valut d’être expulsé du lycée en 1966. © : Courtesy of Otis Taylor / The Washington Post.

Otis Taylor, que vous aurez sans nul doute identifié, s’inscrira ensuite parmi les bluesmen les plus originaux de ces trente dernières années. Multi-instrumentiste (banjo, guitare, mandoline, harmonica), chanteur à la voix sombre et voilée, il se distingue par ses textes engagés en faveur de la cause des Afro-Américains dont il connaît parfaitement l’histoire. Sa musique hypnotique est si personnelle qu’il est aujourd’hui considéré comme l’inventeur d’un style bien particulier, le Trance Blues. Et voilà, cinquante-sept ans après l’avoir viré du lycée parce qu’il refusait de se couper les cheveux, que les responsables actuels du Manual High School semblent s’apercevoir que Taylor laissera une marque profonde dans le paysage de la musique populaire américaine. Ce 15 mai 2023, ils lui ont donc remis ce fameux diplôme refusé en 1966, dont voici une vidéo officielle. Mais que penser de cette reconnaissance tardive ? Et de la réaction initiale d’Otis ? Avec une sagesse exemplaire, il répond aujourd’hui : « L’injustice s’est produite il y a bien longtemps. En tant qu’homme noir aux États-Unis, j’ai appris à composer avec les injustices. Mes enfants ont étudié à l’université. Ma femme m’aime toujours après trente-sept ans de mariage. Que devrais-je regretter ? »

 

Coupure du 10 décembre 1964 du Denver Post, qui qualifie Otis Taylor, alors âgé de seize ans, de probable unique banjoïste-monocycliste de Denver ! © : Courtesy of Otis Taylor / CBS.

 

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