Du 11 au 16 août 1965, le quartier de Watts au sud de Los Angeles est la proie de violentes émeutes raciales. Avant l’adhésion de la Californie à l’Union en 1850, la région où se trouve aujourd’hui Watts est mexicaine. S’il existe des traces d’occupation de la zone dès 1882, son développement débute réellement au début du XIXe siècle, quand le lieu prend justement le nom de Watts. Il le doit à Charles Harvey Watts, important propriétaire terrien et éleveur de chevaux décédé en 1904. Trois ans plus tard, Watts devient une ville, mais en 1926, suite à un référendum, elle est rattachée à Los Angeles. Les Afro-Américains sont alors très rares à Watts, mais avec la Seconde Guerre mondiale, ils arrivent en masse dans le cadre de la Seconde Grande migration, venus des États sudistes dont le Mississippi, la Louisiane, l’Arkansas, le Texas… À Watts, cette main-d’œuvre nécessaire aux entreprises d’armement est sommairement logée dans des logements créés à la hâte, dans lesquels les habitants sont tous des Afro-Américains.
Dans les années qui suivent le conflit mondial, dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos, la situation ne cesse d’empirer avec la ségrégation, les discriminations, le non-respect des droits, le manque de services avec des hôpitaux et des écoles indignes. Dans ce contexte d’extrême tension en pleine période de lutte pour les droits civiques, le moindre incident peut gravement dégénérer. Ce qui arrive le 11 août au soir quand Lee Minikus, un policier blanc, interpelle Marquette Frye, un jeune Noir, pour ivresse au volant. Comme il essaie de fuir, d’autres personnes s’en mêlent, le frère et la mère de Frye, des badauds et bien sûr d’autres policiers. L’échauffourée prend de l’ampleur, et une rumeur se répand selon laquelle un des policiers aurait frappé une femme enceinte. Frye, son frère et sa mère sont finalement arrêtés. Durant la nuit, d’autres affrontements entre habitants et forces de l’ordre se poursuivent.
Le lendemain, les Frye sont libérés sous caution et une réunion est organisée entre des représentants de la communauté afro-américaine et de la police de Los Angeles, dont le chef est William Henry Parker III. Le 25 décembre 1951, ce dernier occupait déjà ce poste lors du Bloody Christmas, qui se traduisit par des violences policières l’égard d’Américains d’origine mexicaine. Parker dirigea une enquête interne qui permit la mise en accusation des policiers, mais ce personnage controversé favorable à la ségrégation se fit aussi remarquer pour des déclarations racistes. En tout cas, la rencontre du 12 août échoue, et face aux habitants de plus en plus nombreux dans les rues, Parker fait appel à la garde nationale, bien décidé à les repousser comme le fait l’armée avec ses ennemis dans la guerre au Viet Nam !
Vendredi 13 août 1965, les émeutes font un premier mort, un Afro-Américain victime d’un échange de tirs entre policiers et émeutiers. Dans les heures qui suivent, la révolte ne cesse de s’étendre, y compris aux localités voisines même si Watts en reste le centre. Au soir du samedi 14 août, 16 000 policiers et militaires patrouillent dans Watts, et les forces de l’ordre menacent de tirer sur les émeutiers qui refusent de rebrousser chemin. La journée du dimanche 15 août est la plus répressive, Watts est mis sous couvre-feu et quelque 3 500 personnes sont arrêtées. Un calme relatif revient lundi 16 août mais le bilan de ces émeutes, auxquelles 30 000 à 35 000 personnes ont participé, est très lourd : 34 morts, plus de 1 000 blessés, un millier de bâtiments détruits ou endommagés…
De nombreux auteurs reviendront sur les émeutes de Watts dans des livres, des films, sur des disques… Côté musique, le premier à s’exprimer fut Frank Zappa, qui écrivit en 1965 la chanson explicite Trouble every day, aux accents bluesy marqués, qui figurera sur le premier album de son groupe The Mothers of Invention l’année suivante chez Verve, « Freak Out! ». Phil Ochs, Paul McCartney et le groupe de hip-hop Cypress Hill y reviendront aussi dans des chansons. Mais plus près de notre spectre, on évoquera évidemment le concert Wattstax du Los Angeles Memorial Coliseum, organisé le 20 août 1972 spécialement pour commémorer les émeutes de Watts. L’événement, qui réunissait les plus grands artistes du label Stax dont The Staple Singers, Carla Thomas et Rufus Thomas, Luther Ingram, Johnnie Taylor, les Bar-Kays, William Bell, Eddie Floyd, Isaac Hayes et Albert King, sera suivi d’un double album (« Wattstax: The Living Word ») et d’un film de Mel Stuart en 1973 (Wattstax). Impossible de ne pas citer Johnny Otis, très marqué par ces événements qu’il évoque dans deux livres, Upside Your Head!: Rhythm and Blues on Central Avenue(nom d’une artère de Watts, Wesleyan University Press, 1993) et Listen to the Lambs (University of Minnesota Press, 2009). Enfin, dans son excellente biographie consacrée au même Otis, Midnight at the Barrelhouse: The Johnny Otis Story (University of Minnesota Press, 2013), George Lipsitz y revient aussi.
Voici donc notre habituelle sélection de chansons en écoute.
– Trouble every day en 1966 par Frank Zappa and The Mothers of Invention.
– The Watts breakaway en 1970 par le Johnny Otis Show (Delmar Evans au chant).
– I’ll take you there en 1972 par The Staple Singers (Wattstax).
– Precious lord take my hand en 1972 par Deborah Manning (Wattstax).
– Wade in the water en 1972 par Little Sonny (Wattstax).
– I forgot to be your lover en 1972 par William Bell (Wattstax).
– I can’t turn you loose en 1972 par The Bar-Kays (Wattstax).
– Pick up the the pieces en 1972 par Carla Thomas (Wattstax).
– Killing floor en 1972 par Albert King (Wattstax).
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