Actualité oblige, le premier article de notre rubrique hebdomadaire consacrée aux musiques guadeloupéennes (notre article du 25 août 2023) survient hélas suite à la disparition de Toussaint Walter, le week-end dernier à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Il était surtout connu en tant qu’adepte du steel pan, ce tambour métallique originaire de Trinité-et-Tobago (Trinidad and Tobago en anglais), introduit en Guadeloupe au milieu du siècle dernier. Dans sa région natale à Capesterre-Belle-Eau, Walter va devenir le principal représentant de cet instrument traditionnel dans l’archipel, au point d’être ensuite surnommé l’ambassadeur du steel pan. Au milieu des années 1950, il s’inscrit en pionnier dans la mouvance des frères Florimont venus de Guyane, et de Georges Barbotteau, qui dirige l’antenne locale de Shell. Walter se rend à Trinidad et revient en Guadeloupe où il tourne dans des hôtels pour favoriser la reconnaissance du steel pan.
Toussaint Walter fondera ensuite l’association Les Palmiers, qui fut également le nom du groupe avec lequel il enregistra quatre albums : « Vacances Caraïbes » (Erase, 1976), « Steel Band de Capesterre-Belle-Eau » (Disques Debs International, 1977), « Spécial Caraïbes » (Erase, 1977) et « Steel Band » (Disques Debs International, 1981). Nous vous proposons en fin d’article des extraits en écoute de ces albums. Mais la tradition du steel pan va perdurer en Guadeloupe, car soucieux de la transmission de son art, Walter l’a appris aux membres de sa famille. Et son petit-fils Denis Walter, non content d’avoir obtenu un diplôme de musicien intervenant pour mener des actions en milieu éducatif (via son association Harmonik Steel Quartet), a aussi publié Le steel band à Capesterre-Belle-Eau de 1950 à nos jours (éditions Nestor, 2019). Grâce à la famille Walter, le steel pan a donc encore de beaux jours devant lui sur nos îles !
Mais si Capesterre-Belle-Eau est considéré comme le berceau du steel pan en Guadeloupe, où il apparut donc vers 1950, ses origines sont bien plus anciennes. En effet, comme pour la plupart des percussions aujourd’hui présentes dans les musiques caribéennes et afro-américaines, l’histoire du steel pan nous ramène à l’Afrique de l’Ouest. Et une fois de plus, force est de constater que cette inestimable tradition culturelle est issue de l’esclavage. Si Christophe Colomb fait escale dès 1498 à Trinidad, les esclaves africains sont surtout déportés en masse sur l’île et sa voisine Tobago au XVIIIe siècle. À la fin de ce même siècle, alors que Tobago est sous le joug espagnol, face à la demande croissante, le Français Philippe Rose Roume de Saint-Laurent, administrateur colonial et commissaire-ordonnateur de Tobago, va même jusqu’à « recruter » des esclaves jusque dans d’autres îles antillaises, dont la Martinique et la Guadeloupe…
Tous ces esclaves partagent un point commun, ils viennent essentiellement du Nigeria, du Ghana et du Congo. Leurs percussions reposent certes sur des tambours, mais elles s’assortissent aussi d’autres sonorités comme celles des cascabelles (propres au serpent à sonnette !), des grelots, des clochettes… Ils emploient aussi un tambour particulier appelé talking drum (« tambour parlant »). De forme allongée, il rappelle un sablier couché dont les deux têtes sont reliées par des membranes, et il a pour but de reproduire le ton et la prosodie de la voix humaine, d’où son nom. Il était évidemment extrêmement difficile, voire impossible, pour les esclaves de s’exprimer à l’aide de ces percussions sous peine d’une répression féroce. Mais l’instabilité due aux occupations successives des îles de Trinidad et Tobago (Espagne, France, Angleterre) au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, puis l’interdiction de la traite en 1807, ont sans doute permis aux esclaves d’utiliser le talking drum plus qu’ailleurs dans la Caraïbe.
Ce type de percussion reste donc vivace sur les deux îles avant d’être interdit en 1881 avec d’autres traditions du carnaval comme le stick-fighting (combat avec un bâton, à rapprocher du mayolè) par les Britanniques suite aux émeutes dites « Canboulay » (précurseur du carnaval local, dérivé de « canne brûlée »). Mais il en faut plus pour venir à bout de telles cultures ancestrales. Faute de talking drum, les adeptes utilisent des ustensiles de cuisine comme des casseroles et des poêles (pans, en anglais) pour se faire entendre. Ensuite, au moment de leur entrée dans la Seconde Guerre mondiale en 1941, les États-Unis activent à Trinidad une importante base militaire qui comptera jusqu’à 135 000 hommes.
Dans ce contexte, les besoins en pétrole augmentent considérablement, et les bidons vides vont ainsi donner naissance au steelpan (littéralement « casserole en acier » !), que les Anglo-Saxons écrivent en un seul mot. L’instrument évolue rapidement. Généralement, on ne conserve que la partie inférieure du bidon, le fond, qui subit un traitement particulier : il est embouti en cuvette puis martelé pour obtenir des facettes concaves qui font office de notes. Il existe des steel pans aigus, médiums et graves, et il s’agit bien d’un véritable instrument, tel que Toussaint Walter l’a introduit en Guadeloupe. En outre, le steel pan, qui évoque parfois le vibraphone par ses sonorités métalliques, génère des sons vibrants et mélodieux qui relèvent effectivement du langage, s’inscrivant en héritier direct du talking drum… Nous espérons que l’histoire vous a plu, et la boucle est ainsi bouclée !
Enfin presque… Car rien ne vaut la musique pour illustrer notre propos, d’autant que le steel pan reste très pratiqué en Guadeloupe. Outre Toussaint Walter, nous vous proposons donc des chansons d’artistes actuels qui entretiennent cette tradition.
– En flamme en 1977 par Les Palmiers.
– Moin pas ainmer politic en 1977 par Les Palmiers.
– Cadence en 1977 par Les Palmiers.
– Don’t stop the music by KSB en 2012 par le Karukéra Steel Band.
– Medley Bob Marley en 2014 par Tibou Steel Band.
– L’Étoile des Îles de Port-Louis en 2018.
– Interview de Denis Walter en 2019 sur son livre qui raconte l’histoire du steel pan en Guadeloupe.
– Salsa en 2020 par le Harmonik Steel Quartet, avec cinq membres de la famille Walter !
– Article de Guadeloupe La 1ère du 29 août 2023 suite au décès de Toussaint Walter, avec une vidéo dans laquelle il s’exprime, ainsi que son petit-fils Denis.
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