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Ce 23 septembre 2023, nous attendions impatiemment le premier volet intitulé « Autumn Blues #1 » de l’émission Guitare, guitares présentée par Sébastien Llinarès sur France Musique. La radio nous devait d’ailleurs une petite revanche. En effet, dans un article du 11 juin 2023, nous nous étonnions qu’elle attribue l’introduction de la guitare électrique dans le blues à T-Bone Walker en 1942, oubliant au passage George Barnes et Floyd « Guitar » Smith, qui avaient précédé T-Bone en 1938 et 1939. Eh bien nous repasserons… Car dès les premières secondes, le présentateur sort de la route en parlant de « chant populaire des Noirs des États-Unis directement à l’origine du jazz, et si on ne sait pas vraiment quand les premiers blues sont apparus, on sait qu’ils étaient déjà chantés au XIXe siècle pendant l’esclavage ».

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Vient alors un premier extrait, la version de One bourbon, one scotch, one beer de John Lee Hooker (tirée de son album « Chill Out » en 1995). Sébastien Llinarès est guitariste mais le blues ne lui est d’évidence pas familier, et il semble lire un texte même c’est peut-être une impression. Il enchaîne avec deux chansons de Robert Johnson, Terraplane blues et I believe I’ll dust my broom, à propos duquel il croit bon de préciser que c’est « un titre dont il nous laisse le soin de trouver le double sens érotique ». Raté ! Il n’y aucune connotation sexuelle dans le titre de cette chanson. L’expression dust my broom signifie débarrasser le plancher, prendre ses cliques et ses claques, partir pour généralement ne pas revenir. Suivent deux autres chansons de Johnson, Cross road blues et Sweet home Chicago.

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Cette parenthèse Robert Johnson passée, l’émission propose Elizabeth Cotten avec Graduation march, une ballade folk instrumentale loin du blues. On apprend (sic) ensuite que la « guitare n’est pas chère, facile à fabriquer, un couteau suisse que chacun désire s’approprier », avant d’entendre les Mississippi Sheiks avec Sitting on top of the world, un morceau qui met surtout en avant… le violon ! À l’issue de la chanson, les Sheiks sont décrits comme « l’orchestre de blues, de folk et de country le plus célèbre dans les années 1930 ». On a droit à une cinquième chanson de Robert Johnson, car selon le présentateur, Sitting on top of the world aurait influencé Robert Johnson sur Come on in my kitchen (alors que Johnson s’est sans doute surtout inspiré de How long how long blues de Leroy Carr).

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La moitié de l’émission marque un changement de direction avec Good mornin’ blues et le jazzman Charlie Christian, pourquoi pas quand on sait l’importance de cet immense guitariste. Mais on revient au blues avec deux chansons de Lead Belly pour évoquer la guitare 12-cordes, Fannin’ Street (Mister Tom Hughes town) et The gallis pole. Le problème vient à nouveau du commentaire, qui cite les Lomax et « cette musique qui électrisait le Delta du Mississippi ». On se demande si le présentateur ne confond pas la région du Delta au nord de l’État et le delta du fleuve Mississippi, d’autant que Lead Belly venait de la Louisiane et ne peut être associé au Delta Blues. La fin de l’émission est surprenante et hors sujet, avec des sélections de Django Reinhardt (St. Louis blues), Biréli Lagrène (Blues clair), Herb Ellis & Joe Pass (Guitar blues) et Joe Pass (Acoustic blues)… S’il suffisait de mettre le mot « blues » dans le titre d’un morceau pour en faire un blues, ça se saurait ! L’émission s’achève sur un merveilleux blues de Johnnie Temple, Lead pencil blues (It just won’t write), qui ne fait étrangement l’objet d’aucune annonce à l’antenne. Et c’est bien dommage, car en termes de double sens à caractère sexuel, il y avait cette fois bien des choses à dire sur ce titre !

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Malgré tout le bien que nous pensons de France Musique, il nous paraît difficile de cautionner une émission aussi mal documentée, incohérente, brouillonne et sans queue ni tête. D’aucun(e)s douteront sans doute de l’opportunité de publier un article à ce propos. Mais comment laisser passer un tel faux pas de la part d’un média aussi réputé qui a quand même dès lors une obligation d’excellence, voire d’exemplarité ? Comment expliquer que France Musique envoie ainsi « au carton » un présentateur si peu familier du blues (nous avons écouté Llinarès, assurément excellent guitariste, mais de formation classique et au répertoire sans lien avec le blues) ? Comment admettre que France Musique, dont les moyens sont importants, ne s’attache pas les services d’invités et/ou consultants « spécialisés » qui ne manquent pas dans notre domaine ? Nous regarderons toutefois le deuxième volet intitulé « Autumn Blues #2 » de l’émission Guitare, guitares, programmé samedi prochain. En attendant, car il importe que chacun(e) se fasse sa propre opinion, nous vous invitons à écouter le premier volet à cette adresse.