Chanteuse et actrice, Ethel Waters fut une pionnière qui détient des records dans un nombre assez incroyable de secteurs du spectacle, et même si la musique (blues, jazz et gospel) ne concerne qu’une partie de son existence, elle a toute sa place ici. Elle naît le 31 octobre 1896 à Chester, Pennsylvanie, du viol sous la menace d’un couteau de Louise Anderson, alors âgée de treize ans (quinze ou seize ans selon certaines sources), par John Wesley Waters, un pianiste de jazz qui n’a lui-même que dix-sept ans. Il ne s’occupe évidemment pas de sa fille et mourra en 1901, victime d’un mari jaloux… La mère d’Ethel se marie juste après la naissance de sa fille, qu’elle a toutefois du mal à élever, du fait de son jeune âge et parce qu’elle ne s’attendait pas à devenir mère. Ethel grandit donc dans la précarité avec sa grand-mère et ses oncles, ce qui ne favorise pas sa stabilité.
En 1910, à treize ans, elle épouse Merritt « Buddy » Purnsley, un mari qui la violente dont elle divorcera trois ans plus tard. Peu scolarisée même si un de ses oncles s’efforce de l’éduquer, elle vivote, vole parfois pour se nourrir, et finit par trouver un job de femme de chambre à Philadelphie. Ayant eu l’occasion de pratiquer à l’église car sa mère est très pieuse, elle se fait remarquer le 31 octobre 1913, le jour de ses dix-sept ans, lors d’une soirée costumée en acceptant d’interpréter deux chansons. Sans doute déjà dotée de cette voix ample au vibrato caractéristique que nous lui connaissons, elle obtient grâce à cette performance impromptue un engagement au sein de la revue Braxton and Nugent, qui se produit notamment au Lincoln Theatre à Baltimore, Maryland. Elle gagne alors 9 dollars par semaine, pas de quoi mener grand train d’autant que ses managers peu scrupuleux détournent ses pourboires ! Sa grande taille (1,80 m) et sa silhouette élancée lui valent le surnom de Sweet Mama Stringbean (string beansignifie haricot vert ou asperge), et en 1917, elle réalise sa « première première » : souhaitant interpréter la fameuse composition St. Louis blues de W.C. Handy, elle obtient l’autorisation de ce dernier et devient la première femme à la chanter !
La carrière artistique d’Ethel Waters a donc débuté et la voit tourner sur le circuit vaudeville puis dans un cirque itinérant, ce qui la mène un temps à Chicago. Elle quitte toutefois le cirque, prend la route du sud et gagne Atlanta, où elle apparaît dans le même club que Bessie Smith, qui exige qu’elle ne la concurrence pas en chantant des blues. Waters se contente donc de ballades et de chansons populaires… Mais son heure de gloire approche alors qu’elle s’installe à New York vers 1919. Elle joue d’abord dans la comédie blackface Hello 1919 au Lafayette Theatre à Harlem puis dans des salles de plus en plus importantes. Le 21 ou le 22 mars 1921, accompagnée du Albury’s Blue and Jazz Seven, elle grave pour Cardinal ses deux premières faces (The New York glide et At the new Jump Steady ball), devenant ainsi la cinquième afro-américaine à faire un disque, et deux ans avant Bessie Smith… Le 21 avril 1921, elle devient la première chanteuse noire à passer à la radio.
En mai 1921, elle enregistre de nouveaux 78-tours, cette fois pour Black Swan, le premier label important géré par des Afro-Américains (notre article du 25 février 2023) fondé par Harry Pace. Le succès est fulgurant, et durant son contrat avec Pace, soit de 1921 à 1923, Ethel Waters est en tête des ventes de disques pour la marque, ce qui en fait l’artiste afro-américaine la mieux payée de son époque ! L’année suivante, elle reste chez Paramount qui a racheté Black Swan, et à partir de 1925, elle est engagée par Columbia pour une longue période qui se poursuit jusqu’en 1933, durant laquelle elle réalise quatre-vingt neuf faces. Parmi celles-ci, Dinah, Stormy weather (sous licence Brunswick), Taking a chance on love, Heat wave, Supper time, Am I blue? et I’m coming Virginia l’installent parmi les chanteuses de blues essentielles de son temps, même si on note, à partir de 1928, que son registre donne plus de place au jazz. Une tendance qui se confirme sur ses enregistrements suivants chez Victor, jusqu’en 1939.
Mais parallèlement, Ethel Waters poursuit une carrière tout aussi brillante d’actrice, au théâtre, au cinéma, à la télévision… En 1939, elle est la première femme afro-américaine à la tête de sa propre émission télévisée, The Ethel Waters Show. Dix ans plus tard, elle est la deuxième actrice noire nommée pour un Oscar dans Pinky d’Elia Kazan (la première était Hattie McDaniel dans Autant en emporte le vent en 1939). De 1950 à 1952, dans Beulah, elle est la première femme afro-américaine à tenir le premier rôle dans une série télévisée nationale, et en 1962, la première nommée pour un Primetime Emmy Award pour une autre série, Route 66. Cette liste n’est même pas exhaustive et nous pourrions citer d’autres « premières » moins significatives de cette incroyable artiste mais ce serait fastidieux.
Pourtant, la fin de vie d’Ethel Waters est plutôt difficile. À partir du début des années 1960, fatiguée, en sévère surpoids et surtout endettée, elle souffre aussi de n’avoir pas eu d’enfants, ses deux autres mariages ayant en effet échoué. Elle décide d’alors de se consacrer à la religion et retrouve néanmoins une raison de vivre, en particulier en suivant le pasteur et prédicateur Billy Graham (1918-2018), considéré comme des plus importants leaders du christianisme du XXe siècle, lors de ces campagnes dites crusades, au cours desquelles elle chante aussi du gospel. Puis la santé d’Ethel Waters se dégrade. Atteinte d’un cancer de l’utérus et d’insuffisance rénale, elle s’éteint le 1er septembre 1977 à l’âge de quatre-vingts ans. Passons maintenant à notre sélection de chansons de cette inoubliable interprète.
– The New York glide en 1921. Sa première chanson.
– Down home blues en 1921.
– Dinah en 1926.
– Organ grinder blues en 1928.
– Stormy weather en 1933.
– Georgia on my mind en 1939.
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