© : Spotify.

Comme chaque année, ce 1er novembre 2023 marque la Toussaint, le jour de tous les saints (All Saints Day). Et comme chaque année, le fameux spiritual When the saints go marching in sera sans doute interprété en bien des circonstances. En outre, le premier enregistrement de cette chanson date de novembre 1923, il y a donc tout juste un siècle. L’occasion est donc belle de nous intéresser d’un peu plus près à l’histoire de cet hymne chrétien de première importance, qui dès le début du vingtième siècle était présent dans les répertoires d’artistes de gospel, mais aussi de blues et de jazz, sans doute avant même d’être immortalisé sur disque. Et plus près de nous, The saints, comme on aime également l’appeler, se retrouvera aussi dans la country, le rhythm and blues et le rock, faisant l’objet de multiples adaptations plus ou moins heureuses…

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Mais malgré l’immense popularité dont jouit toujours ce chant, établir précisément son origine s’avère impossible et différentes théories circulent. La première nous conduit aux Bahamas, où résida en 1917 un couple d’Américains, John et Evelyn McCutcheon, qui possédaient une île de l’archipel, Salt Cay (ou Blue Lagoon Island). John McCutcheon (1870-1949) était auteur et illustrateur de guerre, lauréat d’un prix Pulitzer en 1931. En 1927, le couple McCutcheon, qui s’intéressait aussi aux traditions musicales locales, a publié The Island Song Book, qui comprend une chanson intitulée When the saints go marching home. Aux côtés d’autres, elle est censée représenter le folklore des Bahamas. Ce n’est pas le cas, mais aujourd’hui encore, certaines sources évoquent des sources bahaméennes pour When the saints

Funérailles du tromboniste Louis Nelson, La Nouvelle-Orléans, 1990. © : Sydney Byrd / 64 Parishes.

En remontant un peu le temps, on apprend qu’une composition, cette fois nommée When the saints are marching in, par Katharine Elinda Nash Purvis (paroles) et James Milton Black (musique), a été publiée en 1896 chez Curtis & Jennings à Cincinnati, Ohio. Mais il suffit de lire la partition pour constater, si on excepte le titre, qu’elle diffère grandement du spiritual qui nous intéresse… Au-delà des spéculations, nous savons que nous devons bon nombre des spirituals « historiques » à des Afro-Américains lors de l’esclavage, et qu’ils datent plus précisément des années qui précèdent la guerre de Sécession (1861-1865). Avant cette période, la quasi absence de traces écrites nous oblige à nous baser sur la transmission orale (dont la fiabilité est d’ailleurs bien réelle), et à considérer qu’un spiritual comme When the saints go marching in trouve probablement ses racines dans les chants des esclaves des plantations, aux textes souvent issus de scènes de la Bible (ici l’entrée des saints au paradis).

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Mais nous allons voir que When the saints go marching in ne va pas suivre l’évolution habituelle des spirituals « classiques » et progressivement s’éloigner de sa vocation originelle d’hymne chrétien. En effet, dès les premières années du XXe siècle, à La Nouvelle-Orléans, on l’interprète lors des cérémonies funéraires, et il figure aussi au répertoire des marching bands et des brass bands. Mais, en le jouant sur un tempo plus enlevé, les précurseurs du jazz vont également vite se l’approprier, à commencer par un des plus notables citoyens de la ville (d’ailleurs né en 1901), Louis Armstrong, qui en fera un grand classique en 1938. En 2020, l’historien Ricky Riccardi a publié pour la Bibliothèque du Congrès un article détaillé sur la version de la chanson par Armstrong « When the Saints Go Marching In – Louis Armstrong & his Orchestra (1938) ». Il nous rappelle que le futur jazzman connaissait The saints dès les années 1910. Ainsi, à propos d’un séjour dans une sorte de maison de correction pour Noirs (Colored Waif’s Home for Boys) où il reste jusqu’au 14 juin 1914, il dira dans une interview : « Le premier morceau que j’ai joué étaitHome sweet home, puis, une semaine après, c’était When the saints come marching in en allant à l’église. »

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On relève que le titre diffère légèrement de celui que l’on connaît aujourd’hui, When the saints come marching in au lieu de When the saints go marching in. Et justement, vers le 15 novembre 1923, un groupe de gospel, les Paramount Jubilee Singers, entre en studio et grave sept faces pour Paramount, dont l’une s’appelle When all the saints come marching in. Là encore, le titre de la chanson change légèrement, mais peu importe, il s’agit bien du tout premier enregistrement de When the saints go marching in. Détail inattendu, si on prend le temps d’écouter les paroles, on s’aperçoit que les chanteurs emploient le refrain qui nous est familier, soit « When the saints go marching in » ! On peut imaginer qu’il s’agit d’une erreur de transcription du label… De toute façon, au gré des versions, le titre et le contenu des couplets varieront !

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Toujours dans la première moitié des années 1920, d’autres formations de gospel reprennent la chanson, qui est donc aussi au départ de l’avènement du genre. Son apparition dans le blues suit de près. C’est peut-être moins attendu mais pas nécessairement surprenant car les premiers bluesmen ne dédaignaient pas chanter des textes religieux, même s’ils usaient alors souvent de pseudonymes car à cette époque on identifiait le blues au péché, d’où ce cliché à la peau dure qui le décrit comme la musique dite « du diable »… Présente dans le jazz, le gospel et le blues, soit les trois courants au départ des autres musiques populaires, When the saints go marching inva donc se répandre plus que tout autre spiritual dans tous les styles, et 100 ans après son premier enregistrement, la chanson ne laisse deviner aucun signe de faiblesse !

Joseph Spence chez lui à Nassau, Bahamas, 1977. © : Guy Droussart.

Il nous reste donc à vous proposer une sélection de 20 chansons en écoute, qui couvrent un siècle.
When all the saints come marching in en 1923 par les Paramount Jubilee Singers. La version des 100 ans !
When the saints go marching in en 1925 par le Wheat Street Female Quartet. Première version par une formation féminine.
When the saints come marching home en 1926 par Bo Weavil Jackson. Au tour des bluesmen !
When the saints go marching in en 1927 par Robert Hicks (Barbecue Bob).
When the saints go marching in en 1934 par Fiddlin’ John Carson & Moonshine Kate. Un peu de country !
Saints go marching in en 1938 par le Golden Gate Jubilee Quartet. Impossible d’échapper à la lecture du plus célèbre groupe de gospel de l’histoire…
When the saints go marching in en 1938 par Louis Armstrong. Incontournable !
When the saints go marching in en 1939 par Wingie Manone.
When the saints go marching in en 1949 par le Chuck Wagon Gang.
When the saints go marching in en 1951 par les Weavers.

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When the saints go marching in en 1953 par Moustache Jazz Seven. Il s’agit bien du groupe du Français François Alexandre Galépidès dit Moustache.
When the saints go marching in en 1955 par Mahalia Jackson.
When the saints go marching in en 1966 par Mance Lipscomb.
When the saints go marching in en 1974 par Ike & Tina Turner.
When the saints go marching in en 1978 par Joseph Spence. Spence était un chanteur-guitariste des Bahamas, mais nous savons maintenant que la chanson ne vient pas de son archipel…
When the saints go marching in en 1980 par Queen Ida and the Bon Temps Zydeco Band. Du zydeco !
When the saints go marching in en 1992 par Monty Alexander.
When the saints go marching in en 2004 par Dr. John avec Mavis Staples.
When the saints go marching in en 2012 par le Dirty Dozen Brass Band.
When the saints go marching in en 2018 par le Dixiecat Street Band.

© : Dirty Dozen Brass Band.