Dans le cadre de ma rubrique hebdomadaire dédiée aux musiques guadeloupéennes, je vous propose de nous arrêter sur la grande chanteuse Moune de Rivel, et ce à travers une anthologie de trois CD intitulée « Moune de Rivel – La grande dame de la chanson créole – L’intégrale chronologique 1949-1962 », que l’on doit au label Frémeaux & Associés. Il ne s’agit pas d’une nouveauté car elle date de 2015, mais elle me permet de souligner ici que le catalogue Frémeaux est de très loin le plus fourni en termes d’offre portant sur les musiques antillaises historiques, généralement déclinée en coffrets de plusieurs CD accompagnés de livrets très détaillés et documentés. À ce propos, le livret de l’anthologie dont il est question ici, que l’on doit à Jean-Pierre Meunier (auteur, historien et collectionneur spécialiste des musiques antillaises), est absolument exemplaire et je me contenterai dès lors d’évoquer les grandes lignes de la biographie de cette ambassadrice iconique de la chanson créole, tout en complétant mon article d’une sélection de dix chansons tirées de l’anthologie.
Moune de Rivel naît Cécile Aimée Henriette Jean-Louis le 7 janvier 1918 à Bordeaux mais elle est issue d’une longue lignée qui nous ramène au début du XVIIIe siècle en Afrique, où son arrière-arrière-grand-père originaire du Mali fut réduit comme tant d’autres en esclavage. Son arrière-grand-père, simplement connu sous le nom de Jean-Louis (vers 1779-1831), participa à la lutte pour l’émancipation à l’époque de Louis Delgrès, et son grand-père Louis Joseph Jean-Louis (1821-1896) était agriculteur à Sainte-Anne. Enfin, son père Jean Symphorien Henri Jean-Louis (1874-1958), arrivé à Bordeaux dès 1895, se distinguera comme magistrat en Afrique et s’engagera contre le colonialisme. Mais il faut plus chercher les sources de la carrière artistique de Moune de Rivel du côté de sa mère : en effet, Fernande de Virel (1881-1953), elle-même musicienne, est originaire d’une famille de nobles de Bretagne, les Dufresne de Virel, dont plusieurs membres installés en Guadeloupe pratiquaient ou enseignaient la musique…
En octobre 1918, soit seulement dix mois après la naissance de la future Moune de Rivel, la famille revient en Guadeloupe où le père est avocat à Basse-Terre, avant de devenir le premier juge noir aux Antilles, mais à Fort-de-France en Martinique. Il poursuit sa carrière en Afrique (où il épouse une deuxième femme, comme le permet le droit coutumier), mais en 1924, Fernande part cette fois pour Paris avec ses deux filles, dont Cécile, âgée de six ans, que l’on commence à appeler « Moune » ou « Moumoune »… L’année suivante, la fillette commence à chanter des chansons créoles souvent écrites par sa mère. Elle s’initie aussi au piano et à la guitare. Dans une capitale française où les orchestres antillais de jazz et de biguine sont en plein essor (sa mère accompagne d’ailleurs au piano Stellio, que nous évoquons dans un article du 23 septembre 2023), elle débute professionnellement en 1934, à seize ans.
Son parcours est toutefois freiné par la Seconde Guerre mondiale, même si elle signe en février 1944 chez Polydor son premier disque, au sein de l’orchestre de Félix Valvert. L’année suivante marque un tournant radical car elle décroche un engagement au prestigieux Café Society à Greenwich Village (New York) ! Elle rencontre et épouse le 31 juillet 1946 le pianiste Ellis Larkins (1923-2002), qui travaillera notamment avec Coleman Hawkins, Ella Fitzgerald, Harry Belafonte et autre Sonny Stitt, excusez du peu… Hormis deux séances à Paris en octobre puis décembre 1946 durant lesquelles elle grave huit faces, Moune de Rivel vit aux États-Unis jusqu’en 1948. Elle divorce de Larkins l’année suivante et reprend le cours de sa carrière de chanteuse à Paris. Au même moment, suite à une plainte de la famille Dufresne de Virel, alors qu’elle utilisait le nom de sa mère, « de Virel », elle permute les lettres « V » et « R », optant ainsi pour le nom de scène que nous lui connaissons, « de Rivel ».
Nous voici donc en 1949, année choisie par Frémeaux & Associés pour démarrer son intégrale qui couvre donc une période qui se prolonge jusqu’en 1962, et qui est la plus riche de la carrière discographique de Moune de Rivel. Les trois CD de l’anthologie comptent au total cinquante-neuf chansons.
– CD 1 (1949-1952). Les premières chansons proviennent d’un document rare, un concert appelé « Féerie noire » donné le 20 décembre 1949 à la salle Pleyel par la chanteuse avec la Compagnie des Antilles. Sur les autres morceaux, elle s’entoure de son orchestre créole et de celui d’Al Lirvat.
– CD 2(1954-1959). On retrouve Lirvat mais aussi les formations d’André Popp et de Pierre Louiss.
– CD 3 (1960-1962). Outre Louiss, pour ce troisième volet de l’anthologie, Moune de Rivel chante dans les orchestres de Pierre Devevey et de Pierre Rassin.
Après 1962, la chanteuse bénéficie d’une immense popularité et diversifie ses activités. Elle apparaît au cinéma et dans des séries télévisées, sort un disque de poésies, produit sa propre émission à l’ORTF, participe à des festivals et des tournées internationales, crée des spectacles pour faire connaître la culture antillaise… Elle enregistre moins qu’avant mais continue son parcours jusqu’à un âge avancé, fonde son petit conservatoire de la chanson créole en 1995 à Paris et sort son dernier album en 2000 à quatre-vingt-deux ans, « Joie et nostalgies créoles », pour… Frémeaux & Associés ! Elle mérite ainsi plus que jamais d’être désignée ambassadrice de la chanson créole, et même de la culture antillaise en général. Souffrant de la maladie d’Alzheimer durant ses dernières années, Moune de Rivel s’éteint le 27 mars 2014 à quatre-vingt-seize ans.
Voici maintenant les dix chansons promises en écoute…
– Parfum a li en 1949.
– Ti fi la té la bordé en 1950.
– Bel congo en 1952.
– Biguine wabap en 1954.
– L’en nuite en 1956.
– Hurrah missié calypso en 1957.
– Amédée en 1959.
– Mam’zelle ka ou tini en 1960.
– Va belle Suzanne en 1961.
– Ca ki ouai gros paul en 1962.
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