Nous étions en décembre, au début des années 1990 (désolé, ma mémoire ne me permet pas d’être plus précis), nous attendions un concert de Zora Young qui devait se dérouler à l’Entrepôt à Grenoble. Il faisait froid, la neige tombait, et il faisait à peine meilleur à l’intérieur du club mal chauffé. Pour patienter, nous échangions avec les musiciens, surtout le guitariste qui était très sympa, mais Zora se faisait attendre… Un peu dépassés, les organisateurs nous avouèrent qu’ils ne pouvaient pas aller chercher la chanteuse à son hôtel qui se trouvait à l’autre bout de la ville ! Au volant de ma valeureuse AX, j’ai donc pris la route de l’hôtel, où j’ai récupéré une Zora Young frigorifiée. Mais sur scène, la température est vite montée, grâce à Zora bien sûr, mais aussi à son guitariste extrêmement brillant qui impressionna de la première à la dernière minute. Celui-là même avec lequel je discutais une heure plus tôt. Il me fallait son nom. Je l’obtins, bien sûr : D.C. Bellamy. Un bluesman qui nous a donc quittés ce 4 novembre 2023 à soixante-quatorze ans, et restera hélas relativement méconnu alors que son background, nous allons le voir, est édifiant.
Bellamy naît Gregory Washington le 8 mars 1949 à Chicago. Il est le demi-frère de Curtis Mayfield, les deux artistes ayant la même mère, Marion Washington. En fait, il grandit au contact de deux familles, les Mayfield et les Washington, et il se souvient avoir vu Curtis Mayfield répéter avec son tout premier groupe, les Alphatones (fondés en 1956, Bellamy avait donc sept ans). Enfant, il est souvent puni par ses parents qui l’envoient dans sa chambre, et pour mieux passer le temps, vers huit ans il se met à la guitare, même s’il avait aussi un peu tâté du piano de sa grand-mère. Décidément précoce, à seulement dix ans, il joue lors de fêtes avec un copain d’école de son âge qu’il décrit comme un excellent chanteur dans la veine d’Harry Belafonte, alors que Bellamy, qui joue de la guitare, cherche surtout à imiter Elvis Presley…
Puis il s’intéresse de plus en plus sérieusement à la musique, commence à écrire des chansons à douze et treize ans et bénéficie des services du trompettiste du jazzman Ray Saunders pour composer la musique. La réputation de Bellamy grandit, en particulier dans le West Side, et à dix-sept ans, il est remarqué par le mari de la chanteuse Betty Everett, pour laquelle il va jouer durant dix ans ! On le retrouve ensuite omniprésent sur la scène de Chicago aux côtés d’artistes soul, R&B et blues dont Walter Jackson, les Chi-Lites, Gene Chandler, Donny Hathaway, Barbara Acklin, Otis Rush, Otis Clay, Jimmy Reed, Brook Benton, Cicero Blake, Lefty Dizz, Z.Z. Hill, Zora Young… Une liste impressionnante qui démontre à quel point Bellamy est alors demandé. On relève toutefois, comme d’autres artistes très talentueux qui accompagnent les autres, qu’il ne trouve ni le temps ni l’opportunité d’enregistrer sous son nom (hormis deux singles sous le nom de Gregory Washington en 1967 et 1970, passés totalement inaperçus).
Heureusement, début 2000, Jim O’Neal, cofondateur du label Rooster Blues, le sollicite pour enregistrer un album remarquable (dont j’avais signé la chronique dans Soul Bag), « Water to Wine ». À peu près au même moment, Bellamy s’installe à Kansas City. En 2006, il réalise un deuxième excellent album chez Stackhouse, « Got Some Body to Some Body », avant de tourner en France deux ans plus tard. Un disque qui restera sans suite, et on ne peut que le regretter de la part d’un artiste de ce niveau, qui en plus d’être étourdissant à la guitare, était aussi un bon chanteur et un parolier prolifique et avisé. Pour en savoir plus sur D.C. Bellamy, vous pouvez lire l’interview publiée dans le numéro 162 de Soul Bag, et regarder l’entretien en quatre parties disponible sur la chaîne YouTube de Jean-Paul Bellanger, dont les liens suivent : partie 1, partie 2, partie 3 et partie 4.
Terminons par notre sélection habituelle de chansons en écoute.
– Whisper cool breeze en 1967 sous le nom de Gregory Washington.
– Pamla Lamour en 1970 sous le nom de Gregory Washington.
– « Water to Wine » en 2000, album intégral.
– Give some body to somebody en 2006.
– There’s a rat (loose) in my house en 2006.
– Let the good times en roll en 2008 lors de la tournée du Chicago Blues Festival, avec Shakura S’Aida, Andrew « Junior Boy » Jones, Ken Saydak, Russell Jackson et Willie Hayes, lui aussi récemment disparu et auquel je rendrai hommage demain…
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