À Como en 2015. © : Steve Likens / Mississippi Folklife.

Les traditions singulières et captivantes du Hill Country Blues et du fife and drum des collines du nord du Mississippi perdent un représentant important avec la disparition de R.L. Boyce, emporté par un cancer du poumon le 9 novembre 2023 à l’âge de soixante-huit ans. Robert L. Boyce naît le 15 août 1955 à Como, Mississippi, et durant son enfance, il cueille du coton et commence à chanter à l’église. Mais il est surtout attiré par la musique de Mississippi Fred McDowell, et surtout de la formation de son oncle, le chanteur et flûtiste Othar Turner, à la tête du Rising Stars Fife and Drum Band, comme nous le rappelle Éric Doidy dans son livre Going Down South – Mississippi Blues, 1990-2020 (Le Mot et le Reste, 2020) : « Je m’asseyais et j’écoutais de loin. Jusqu’à ce qu’un vendredi, je me décide à y aller et à m’essayer à ça. Je jouais la percussion basse ou lead. J’avais quinze ans à peine…C’est Othar Turner qui me faisait jouer derrière lui, il était lié à une de mes tantes. Il y avait Napoleon Strickland que j’admirais, Bernice Pratcher, elle aussi très jeune comme moi et qui était aussi aux percussions… Il n’y avait pas d’autres musiciens que nous, et nous jouions de l’ouverture, disons vers 11 heures le matin, jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. Et la fête se poursuivait jusqu’à l’aube. »

À Gravel Springs le 4 septembre 1970. © : Bill Ferris.

Effectivement, Boyce a seulement quinze ans le 4 septembre 1970 quand se déroule une de ces fêtes (picnics) à Gravel Springs, la ferme de Turner à deux pas de Como. Un jour béni car ce jour-là, David Evans vient enregistrer le groupe d’Othar Turner, en compagnie de Bill Ferris qui tient la caméra et immortalise tout ce beau monde ! Deux ans plus tard, sort un documentaire intitulé Gravel Springs Fife and Drum (par Ferris, Evans et Judy Peiser), dans lequel on voit R.L. Boyce à la grosse caisse. Boyce continuera de jouer dans la formation de Turner (mais aussi avec Napoleon Strickland) jusqu’à la mort de dernier en 2003. Au départ, R.L. Boyce n’envisage pas de vivre de la musique même s’il apprend la guitare vers 1975, les fêtes de famille ou entre amis lui suffisent, notamment celles de Junior Kimbrough…

R.L. Boyce, Jessie Mae Hemphill et Napoleon Strickland, Delta Blues Festival, Greenville, Mississippi, 19 septembre 1987. Photo © : David Evans / abs magazine online.

Il travaille par ailleurs dans les transports publics, mais en 1990, il est blessé dans un accident de la route, ce qui le limite dans l’exercice de son métier. La même année, il apparaît aux percussions sur six chansons de l’album de Jessie Mae Hemphill « Feelin’ Good » (High Water), ce qui le pousse à s’investir davantage dans la musique. Il contribue même à la « formation » du jeune Luther Dickinson, futur fondateur des North Mississippi All Stars. R. L. Boyce fait désormais partie des figures du Hill Country Blues et, outre les Kimbrough, il côtoie aussi les membres de la famille de R.L. Burnside. Sur son premier album qui sort en 2013 en LP chez Sutro Park, il est d’ailleurs entouré d’autres acteurs de ce style qui nous sont familiers, dont Lightnin’ Malcolm et Luther Dickinson aux guitares, et Cedric Burnside et Calvin Jackson à la batterie. Un disque réalisé à partir d’enregistrements de 2007, et, il faut bien le dire, un peu « brouillon » …

Avec sa fille Shanquisha à Como. © : Yancey Allison / 50 Miles of Elbow Room.

Il est d’ailleurs malaisé de s’y retrouver dans sa discographie. En effet, en 2017, un nouvel album, cette fois un CD, sort chez Waxploitation, « Roll and Tumble », visiblement tiré des mêmes sessions que le précédent, à propos duquel j’écrivais dans ma chronique publiée dans le numéro 228 de Soul Bag : « (…) après tout, ces improvisations à rallonge plus ou moins contrôlées (…) font partie des « rituels » propres à ce type de blues instinctif, mais le problème réside ailleurs. Les documents qui nous ont été fournis comme nos recherches ne permettent en aucun cas de déterminer la date d’enregistrement de ces sessions, tout en entretenant la confusion car la même chanson ne porte pas nécessairement le même nom sur le LP que sur le CD (Gonna boogie devient R. L.’s boogie…). De la même manière, impossible de savoir qui joue de la batterie, même si on suppose que c’est le regretté et inimitable Calvin Jackson sur Shotgun, Cedric Burnside prenant le relais sur les autres morceaux. Nous condamnerons toujours ces procédés mercantiles regrettables qui ne rendent jamais service aux artistes. » Ce qui a sans doute échappé à la Recording Academy, qui a nommé le disque aux Grammy Awards dans la catégorie du meilleur album de blues traditionnel !

© : Mississippi Arts Commission.

Tant mieux pour Boyce, qui bénéficie d’une bien plus large reconnaissance. Dès lors, les albums se succèdent : « Live from the Circle Bar » (avec le Thunder Band, Go Ape Records, 2017), « Juke My Joint » (avec Band of Heysek et Kenny Brown, Indies Scope, 2020) et « Boogie W/ RL Boyce Live » (avec The Rising Stars Fife & Drum Band, Beverly Davis, Garry Burnside, Eric Deaton, Guitar Lightnin’ Lee et Greg Ayres, WoodB Records, 2021). Il faut ajouter à cela deux autres albums chez Waxploitation en 2018, « Rattlesnake Boogie » et « Ain’t Gonna Play Too Long », qui semblent être des « émanations » de « Roll and Tumble », mais malgré mes recherches, je ne suis pas parvenu à l’établir formellement… R.L. Boyce est donc un peu desservi par la confusion qui règne autour de sa discographie mais retenons l’essentiel : avec sa musique directe très excitante, il restera comme un représentant marquant du Hill Country Blues, sans oublier son rôle dans la tradition du fife and drum. Le personnage ne laissait pas indifférent et on le voit dans plusieurs films ou documentaires dont M for Mississippi de Jeff Konkel, Roger Stolle et Damien Blaylock (2008), I Am the Blues de Daniel Cross (2015) et Mississippi Ramblin’ (2018), le film de Nicolas Finet qui raconte le voyage de Jean-Michel Dupont et Mezzo, auteurs de la BD Love in Vain chez Glénat. En 2018, il a fait l’objet d’un article dans le numéro 232 de Soul Bag, ce qui a favorisé sa reconnaissance en Europe. Il a enfin reçu en 2023 un National Heritage Fellowship par le National Endowment for the Arts.

En famille à Como en 2006. © : Sylvia Parker / 50 Miles of Elbow Room.

Voici maintenant notre habituelle sélection de chansons en écoute (que du live).
Gravel Springs Fife and Drum, documentaire sur Othar Turner par Bill Ferris, Davis Evans et Judy Peiser, tourné en 1970 mais sorti en 1972. Alors âgé de quinze ans, Boyce apparaît à la grosse caisse (en T-Shirt bleu).
Hill country stomp en 2015.
Poor black Mattie & Child of God en 2015.
R.L.’s boogie en 2018.
Roll and tumble en 2017.
I don’t need a woman en 2019.

© : Rustin Gudim / National Endowment for the Arts.