© : Talking Guitar: Jas Obrecht’s Music Magazine.

Il est des jours bénis. Parmi mes e-mails de ce 13 novembre 2023, il y en avait un envoyé par Jas Obrecht (1) avec l’objet suivant : « Luther Allison: A 1996 Interview With Solo Guitar Performances (Podcast) ». Une interview réalisée le 3 septembre 1996 à San Francisco, dont seuls des extraits seront publiés deux mois plus tard dans Guitar Player, mais aujourd’hui éditée sur la chaîne YouTube « Talking Guitar: Jas Obrecht’s Music Magazine ». Le message d’Obrecht s’accompagne donc d’un lien YouTube qui met pour la première fois à disposition de toutes et tous l’intégralité de l’entretien qui dure pratiquement 1 h 30, soit le temps d’un long-métrage, et que vous pouvez écouter à cette adresse. Celles et ceux qui ont connu Luther Allison savent qu’il se livrait en interview avec sagesse, mais qu’il pouvait être habité de la même envie et de la même ferveur que sur scène. Après une première partie qui voit Luther revenir sur ses débuts (ce qui est toujours intéressant en soi même si bon nombre d’amateurs connaissent bien les origines de ce bluesman très populaire), on change de dimension.

© : RFI.

Car soudain, le propos change. Luther parle d’un club dans le Wisconsin où il se produisait avant d’être connu : « Un bar avec des filles topless (…), il y avait un petit resto, on mangeait pour 89 cents, on a joué là deux ou trois jours par semaine pendant deux ou trois semaines, les filles dansaient, les mecs les regardaient et se fichaient de la musique, je me faisais 20 dollars par jour, je payais mes 89 cents pour manger et je rentrais chez moi pour l’occuper de mes enfants… » Au bout de vingt minutes, je sentais que j’étais face à un document exceptionnel, à l’écoute duquel je suis resté scotché sans interruption jusqu’à la fin. Avant de l’écouter entièrement une seconde fois dans la foulée, à la fois pour me persuader que je ne rêvais pas et pour rédiger un article sur ce site qui ne semble pas issu d’un cerveau dérangé (entendez le mien)…

© : Charles Sawyer, Jr. / Detroit Public Library Public Collections.

Luther m’y aidera grandement. D’abord en se saisissant de sa guitare électrique mais dont il joue sans la brancher… Ça n’a l’air de rien mais c’est un vrai coup de génie ! Dès lors, comme par magie, l’urgence se fait également jour dans son propos (That’s what it’s about!), notamment quand il explique son approche d’une chanson archi ressassée comme Sweet home Chicago. Une chanson qu’il aimera toujours, sans jamais la jouer comme les Blues Brothers mais en s’adressant au public (You’re talking to the person!). Son évocation de Goin’ home est un sommet de l’interview. Après une démonstration (toujours à la guitare électrique non branchée), il imite la version d’Eric Clapton en disant « Ça n’apporte rien à la chanson (…), je n’entre pas là-dedans », puis il ajoute à propos de celle (originale) de Freddie King, « Voilà ce que veulent les mecs, ce qui les rend dingues ». Dans la dernière partie, Luther revient sur ses compositions (souvent méconnues dans sa discographie), sur la reconnaissance unanime de ses derniers albums, sans omettre l’essentiel : « Nous avons beaucoup à apprendre et je continuerai à me donner à plus de 100 % jusqu’à mon dernier jour. » Nous savons qu’il a tenu parole. Luther Allison est parti le 12 août 1997, moins d’un an après cet interview qui fera date.

Jas Obrecht. © : Blues.Gr

(1). Jas Obrecht écrit pour les principales revues américaines de rock et de blues depuis les années 1970 (il se charge ainsi de la rubrique historique « Let It Roll » pour Living Blues). Il est également l’auteur de plusieurs livres, parmi lesquels pour s’en tenir au blues : Blues Guitar: The Men Who Made the Music (GPI Books, 1990), Rollin’ and Tumblin’: The Postwar Blues Guitarists (Backbeat Books, 2000) et Early Blues: The First Stars of Blues Guitar (University of Minnesota Press, 2015). Enfin, son site Jas Obrecht Music Archive est une véritable mine d’or…

© : Bman’s Blues Report.