© : Stefan Wirz.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce chanteur-guitariste fut un des bluesmen les plus prolifiques de son époque : dans son ouvrage The Texas Blues of Smokey Hogg(Agram Blues Books, 2021), Guido Van Rijn lui attribue très exactement 256 chansons enregistrées, en outre le temps d’une courte carrière sachant que l’artiste est mort très jeune. Mais sa discographie, dispersée sur une multitude de labels souvent de faible diffusion, était très difficile à reconstituer (du moins, jusqu’à la parution du livre de Van Rijn, qui a fait un travail formidable dans le registre), ce qui explique peut-être qu’il soit aujourd’hui moins connu que d’autres grands bluesmen texans de son époque, dont Lightnin’ Hopkins et Lil’ Son Jackson.

© : Discogs.

Il naît Andrew Hogg le 27 janvier 1914 à Glenfawn, Texas (un hameau au sud-ouest de Shreveport), dans une famille de sept enfants, et grandit dans la ferme de son père Frank qui lui apprend la guitare dès ses cinq ans (mais Hogg joue aussi du piano). Encore adolescent, il rencontre Babe Kyro Lemon Turner, spécialiste de la guitare slide que nous connaissons mieux sous le nom de Black Ace. Malgré la différence d’âge (Turner a près de neuf ans de plus que Hogg), tous deux tournent ensemble dans tout l’est du Texas. Mais Hogg est également très influencé par Peetie Wheatstraw dont il maîtrise parfaitement le répertoire, ce qui lui vaut d’être appelé « Little Peetie Wheatstraw »… Enfin, Big Bill Broonzy est une autre influence majeure, mais dans sa période blues urbain des années 1930. Il importait de s’arrêter sur ces trois bluesmen qui évoluaient dans des registres quand même très différents, car ils sont à l’origine du style de guitare très original de Smokey Hogg : sans avoir leur virtuosité, souvent à l’écart des « codes » (il était très difficile à accompagner, sinon par des pianistes !), son jeu dégageait un groove irrésistible qui explique sa popularité.

En 1947. © : Michael Ochs Archives / Getty Images.

Progressivement, Hogg, qui s’est marié en 1932 avec Bertha Blanton, âgée de quinze ans (ils ont un fils l’année suivante puis se séparent en 1934), se fait connaître dans la région et trouve de fréquents engagements à Dallas. Le 15 février 1937, il se trouve à Dallas avec Black Ace, mais contrairement à ce que certaines sources affirment, il ne l’accompagne pas sur ses six titres alors gravés chez Decca (dont le fameux Black Ace). En revanche, trois jours plus tard, il est bien présent dans le même studio, toujours pour Decca. Il serait alors l’accompagnateur du chanteur-pianiste Alex Moore sur quatre chansons, même si nous n’en sommes pas certains, il pourrait s’agir de Blind Norris, auteur par ailleurs d’un seul et unique single en 1929… Mais ce 18 février 1937, Andrew Hogg signe bien ses deux premières faces, Kind hearted blues et Family trouble blues, très marquées Country Blues.

© : RYM.

Et puis, plus rien pendant dix ans ! Du moins sur disque. Hogg continue de se produire à Dallas, se remarie avec Doris Louise McMillan (un autre fils naît de cette union en 1944), avant d’effectuer son service militaire. De retour à la vie civile, il reprend de plus belle son activité musicale. Les choses ont beaucoup évolué en dix ans, l’usage de la guitare électrique s’est largement répandu, et ses pairs texans comme Lightnin’ Hopkins et Lil’ Son Jackson en usent à profusion sans toutefois s’écarter de l’esprit du blues rural. En reprenant le chemin des studios en 1947, Smokey Hogg s’en démarque peu à peu, en s’entourant toujours de pianistes, parfois d’autres guitaristes (Frankie Lee Sims fait ses débuts discographiques avec Hogg, qui lui laisse la guitare alors qu’il chante et joue du piano sur Hard times et Goin’ back home), mais également de cuivres.

© : Stefan Wirz.

D’évidence, Hogg n’a pas oublié les apports de Wheatstraw et de Broonzy, et sa musique, si elle reste bien sûr ancrée dans le blues, s’inscrit aussi dans la mouvance R&B qui prend son essor dans les années 1940, dont il est un des traits d’union avec le blues d’avant guerre. Sa première chanson de 1947, la reprise du Too many drivers de Big Bill Broonzy, qui sort chez Modern (qui se « débrouille » pour l’orthographier To many drivers sur le disque commercialisé, ce qui change complètement le sens du titre…), est synonyme de succès. Dès lors, Hogg se partage entre Dallas et Los Angeles (où se trouve le siège de Modern), multiplie les enregistrements et se voit récompensé par de nouveaux « hits », dont Long tall mama et Little school girl (gravés le 10 décembre 1947), le second se hissant à la cinquième place des charts R&B en janvier 1950.

© : Stefan Wirz.

Malheureusement, Smokey Hogg gère mal sa carrière, dépense son argent sans compter dans une consommation excessive d’alcool, continue certes d’enregistrer abondamment (plus de 250 chansons, nous l’avons évoqué en préambule), mais de plus en plus pour des labels « secondaires ». Il n’a jamais vraiment trouvé sa place dans le bon wagon du R&B, et même s’il reste très apprécié de son public, à partir du milieu des années 1950, les succès se raréfient alors que de nouveaux genres (soul, rock ‘n’ roll) émergent et imposent de savoir se renouveler. Après un ultime single enregistré en octobre 1957 chez Ebb (Good mornin’ baby/Sure ‘nuff), Smokey Hogg connaît une triste fin de vie et décède d’un ulcère hémorragique le 1er mai 1960 à quarante-six ans. Mais quoi qu’il en soit, l’œuvre originale de cet artiste talentueux est importante et ne doit pas être sous-estimée.

Agram Blues.

Passons maintenant à notre sélection de chansons en écoute.
Kind hearted blues en 1937. Son premier titre.
Too many drivers en 1947.
Worrying over you en 1947.
Hard times en 1947 (Hogg au chant et au piano, Frankie Lee Sims à la guitare pour sa première apparition sur disque).
Long tall mama en 1947.
Little school girl en 1947.
Evil mind blues en 1949.
The way you treat me ( I got your picture) en 1950.
Baby don’t you tear my clothes en 1952.
Train whistle en 1954.
Sure ‘nuff en 1957. Son dernier titre.

 

© : 45cat.