Je vous propose aujourd’hui de remonter à la préhistoire des technologies d’enregistrement sonore, et plus précisément au 4 mai 1886, date du dépôt du brevet du Graphophone. À cette époque, on sait déjà enregistrer le son, et les précurseurs sont français. Ainsi, vingt-six ans plus tôt, le 9 avril 1860, Édouard-Léon Scott de Martinville est le premier à restituer le son de la voix humaine, en immortalisant sur son phonautographe la comptine Au clair de la lune. Le 30 avril 1877, Charles Cros présente dans un courrier à l’Académie des sciences le projet du paléophone (« voix du passé »), un appareil qui là encore permettrait d’enregistrer la voix humaine, que les milieux savants suggèrent d’appeler phonographe. En décembre de la même année, Cros apprend que l’Américain Thomas Edison mène des travaux similaires et presse l’Académie d’officialiser son procédé, ce qu’elle fait le 8 décembre. Mais deux jours plus tôt, le 6 décembre 1877, Edison était à son tour parvenu à enregistrer la voix humaine, avec encore une comptine, Mary had a little lamb, dont l’enregistrement est hélas perdu. Thomas Edison déposera peu après le brevet du phonographe, et Charles Cros (1) ne parviendra jamais à faire admettre sa paternité dans la conception de cette invention…
Pour le phonographe, l’enregistrement se fait d’abord sur des cylindres recouverts d’une feuille d’étain, et l’appareil, évidemment le premier commercialisé du genre, obtient un rapide succès. Mais dans la première moitié des années 1880, d’autres scientifiques travaillent dans le secteur, dont Charles Sumner Tainter et Chichester Bell, qui n’est autre que le cousin de Graham Bell, l’inventeur du téléphone (2). Au Volta Laboratory à Washington, D.C., ils œuvrent durant cinq ans pour mettre au point leur Graphophone (qui prend la majuscule car c’est aussi une marque) dont ils déposent donc le brevet le 4 mai 1886. Par rapport au phonographe, le Graphophone propose deux innovations : le cylindre n’est plus vertical mais horizontal, ce qui permet un mouvement transversal et plus uniforme du stylet (l’aiguille), et la feuille d’étain est remplacée par une cire plus souple qui favorise une meilleure conservation des enregistrements.
Même à cette lointaine époque, la technologie évolue rapidement, et dès 1887 l’Américain d’origine allemande Emil Berliner développe le gramophone, sur lequel la lecture ne se fait pas sur des cylindres mais sur des plateaux circulaires, autrement dit les premiers disques ! Mais la très grande majorité des enregistrements de la fin du XIXe siècle, et notamment ceux des premiers groupes de spirituals à partir de 1890, s’effectuent sur cylindres. Entre-temps, en 1885 puis en 1887, les partenaires du Volta Laboratory créèrent successivement la Volta Graphophone Company puis l’American Graphophone Company. En 1888, sous l’impulsion du richissime Jesse H. Lippincott, qui avait déjà racheté l’Edison Phonograph Company, elles fusionnent pour devenir la North American Phonograph Company. Mais Lippincott fait faillite au début des années 1890 ! Qu’à cela ne tienne ! Une autre entreprise de Washington, la Columbia Phonograph Company (fondée en 1889 par Edward D. Easton), qui vendait déjà des appareils de marque Graphophone, reprend « l’affaire »… pour ne plus la lâcher ! Dès 1901, en plus des cylindres, Columbia commercialise des disques semblables à ceux de Berliner et s’impose rapidement parmi les leaders du marché. Et Graphophone est donc aussi à l’origine de Columbia Records, le plus ancien label discographique toujours en activité, mais c’est une autre histoire…
(1). Fondée en 1947, l’académie Charles-Cros remet ses prestigieux prix internationaux du disque, en particulier dans les domaines du blues, de la soul, du gospel et du jazz.
(2). Là encore, la paternité de cette invention est disputée, et Bell, qui déposa le brevet du premier téléphone en 1876, a sans doute profité de travaux antérieurs de l’Italien Antonio Meucci.
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