Dans un article très récent publié le 27 mai 2024 dans le cadre de la seconde abolition de l’esclavage en Guadeloupe en 1848, j’appuyais mon propos sur le gwo ka (1), comme je l’avais fait précédemment en maintes occasions. Et pour cause. En Guadeloupe, le gwo ka est l’instrument roi, prolongement de la percussion africaine que même les tout-puissants propriétaires blancs du temps de l’esclavage ne parvinrent pas à faire taire. Et gwo ka rime avec Marcel Lollia dit « Vélo », qui nous a donc quittés il y a tout juste quarante ans, le 5 juin 1984. Pour donner la mesure de l’importance et de l’influence de Vélo dans le gwo ka, la comparaison est aisée avec le blues : Vélo est au gwo ka ce que B.B. King est à la guitare ou Little Walter à l’harmonica.
Marcel Lollia naît le 7 décembre 1931 à Pointe-à-Pitre de Lisette Téatin et Vénance Lollia qui travaillent à la sucrerie Darboussier (qui fermera en 1980). Son célèbre pseudonyme « Vélo » n’a rien à voir avec la petite reine, c’est simplement l’association des deux premières lettres du prénom (Vé) et du nom (Lo) de son père… Très vite, en autodidacte, il apprend le gwo ka avec son père (qui joue aussi de l’accordéon) et « Ti Papa », un précurseur de l’instrument. Mais sa passion du gwo ka est obsessionnelle. Vélo va trouver de quoi l’assouvir dans le « quartier-poumon » de Carénage non loin du port, où sa rencontre avec François Moléon Jernidier dit « Carnot » est décisive. Avec Carnot, Vélo acquiert ses « galons » de maître tambouyé.
Dans les années 1960, aux côtés notamment de son illustre pair Robert Loyson (mon article du 30 août 2022), Vélo contribue à faire du gwo ka un instrument urbain qui entre dans tous les foyers, qui résonne dans tous les bars, dans tous les bals, dans toutes les fêtes, qui s’invite lors de toutes les rencontres… Vélo fréquente alors également Louis Victoire Napoléon Magloire dit « Napo » et Arthème Boisbant, et « écume » les bals et les fêtes, se produit sur les paquebots de passage, dans les rues, en fait partout où il peut poser son tambour. Ce qui lui vaut d’être remarqué par Madame Adeline (Man Adline) qui tient le café La Briscante sur la place de la Victoire, et d’être intégré à sa troupe de danseurs et de musiciens.
En 1966, Vélo grave son premier disque sous son nom, un single des disques Debs qu’il partage avec le chanteur Paul Blamar, et sur lequel ils signent deux chansons en hommage à Casimir Létang dit « Caso » (ou « Kazo »), Lovency et Le marchand de bonheur. Outre Vélo au gwo ka et Blamar au chant, les musiciens présents sur le 45-tours sont Robert Sarkis au piano, Émilien Antile au saxophone et Arthème Boisbant, également au gwo ka. Cet enregistrement et le succès rencontré grâce à la troupe de La Briscante conduisent Vélo en tournée jusqu’à Paris. Il fait également partie du groupe Takouta et trois albums sortent pour des labels locaux à faible diffusion (Émeraude, Aux Ondes/Célini…), sans qu’il soit toutefois possible d’établir la date précise de ces enregistrements, sans doute au tournant des années 1960 et 1970 : « Vélo et son gwo-ka – Folklore de la Guadeloupe », « Anzala Dolor Vélo » (avec Dolor Méliot et Auberge Anzala) et « Le cercle ansois et Vélo – Une rencontre au sommet ». Il importe enfin de citer un quatrième album, une compilation que l’on doit à Hibiscus parue en 1998 et intitulée « Vélo, maître « ka » et son groupe » : elle contient des faces de 1973, mais surtout d’autres réalisées en 1963 en tant qu’accompagnateur de Napoléon Magloire et du chanteur Cassius, soit trois ans avant son single sous son nom de 1966 !
En 1978, Vélo est un des membres fondateurs du groupe Akiyo, dont l’objectif premier est de moderniser les instruments du carnaval en donnant évidemment plus de place au gwo ka. Après sa mort le 5 juin 1984 des suites d’une longue maladie à seulement cinquante-deux ans, Akiyo deviendra en plus du groupe un mouvement culturel toujours en activité de nos jours. À ce titre, Akiyo ne pouvait manquer de commémorer les quarante ans de sa disparition avec un Mémoryal Vélo 2024 qui se poursuivra jusqu’au 9 juin prochain, comme suit.
– Jeudi 6 juin à 18 h 30 au Pavillon de la ville (Pointe-à-Pitre), débat autour du thème « Vélo : révolisyon oben tradisyon », avec Michel Halley, Pierre-Édouard Décimus, Jean-Claude Gaspaldy et Christian Dahomay.
– Vendredi 7 juin, léwoz pou Vélo.
– Samedi 8 juin à 11 heures rue piétonne (Pointe-à-Pitre), Lukuber Séjor sera le maître de cérémonie de Gloriyé Vélo, puis un concert aura lieu à 18 heures place la Victoire avec Yves Thôle & Konvwaka, Nouvel jénérasyon ka, Akademiduka, Akiyo, Fanm ki ka, Kan’nida, Kamodjaka, Klé la, Latilyé Vélo, Sakitaw, Dominik Coco, Sonny Troupé, Loïc Emboulé, Teddy Pélissier, Isabelle Falla…
– Dimanche 8 juin à 16 heures, « déboulé » au départ du local du groupe Akiyo à Chauvel aux Abymes.
On se quitte comme d’habitude avec une sélection d’extraits en écoute.
– Koundjay en 1963 par Napoléon Magloire et Cassius avec Vélo.
– Lovency en 1966 par Paul Blamar et Vélo.
– « Le cercle ansois et Vélo – Une rencontre au sommet », album intégral.
– Solos de Vélo part 1.
– Solos de Vélo part 2.
(1). On rencontre plusieurs graphies, en deux mots, en un mot, avec tiret, avec majuscule(s) : gwo ka, gwoka, gwo-ka, Gwo Ka, Gwo ka, Gwo-Ka, Gwo-ka… J’utilise celle qui me semble la plus courante, et dans mes articles, j’uniformise.
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