© : Alabama Blues Project.

Vera Hall (chant, folk, country blues et gospel), Dinah Washington (chant, jazz et blues), Chuck Leavell (claviers, Allman Brothers Band, Rolling Stones) et Johnny Shines (chant, guitare, Delta Blues) sont nés/morts ou ont vécu à Tuscaloosa, Alabama. Des épisodes marquants de la lutte pour les droits civiques eurent également lieu dans les années 1950 et 1960 dans cet État. Une petite centaine de kilomètres au sud-ouest de Birmingham, la ville est traversée au nord par la rivière Black Warrior. Le nom Tuscaloosa provient des mots d’origine choctaw tushka (guerrier) et lusa (noir). Autrement dit, la ville porte le nom de la rivière… Mais Tuskaloosa est surtout le nom d’un célèbre chef indien (sans doute à l’origine des nations Creek et Choctaw), qui combattit les Espagnols d’Hernando de Soto au XVIe siècle. Il décédera en 1540 lors de la bataille de Mabila, au centre de l’actuel Alabama, qui occasionna des pertes importantes dans les deux camps.

Représentation du chef Tuskaloosa. © : Roll’ Bama Roll.

La région de Tuscaloosa se trouve en un point très méridional du cours d’eau, où la faible profondeur permet alors fréquemment une traversée à gué. Naturellement, le site est dès lors occupé par les Amérindiens, qui établissent un village dès 1809. Mais le lieu attire aussi les colons, et les forces américaines le pillent lors de la guerre Creek en 1813. Puis les événements s’accélèrent. En 1816, Thomas York devient le premier colon blanc à s’installer sur zone avec sa famille, et d’autres l’imitent dans les mois qui suivent, et l’année suivante l’Alabama devient un territoire américain. Tuscaloosa est fondée le 13 décembre 1819, soit la veille de l’incorporation de l’Alabama en tant qu’État. Elle se développe vite au point de devenir la capitale de l’Alabama et le restera pendant vingt ans. Entre-temps, en 1831, l’université de l’Alabama est inaugurée, toujours à Tuscaloosa. Avec l’économie, la population de la ville connaît une croissance rapide, y compris pour l’époque, pour atteindre 4 250 habitants en 1845. Mais l’embellie ne dure pas et la ville ne retrouvera pas un niveau de population comparable avant les années 1890.

Vera Hall. © : Alabama Public Television.

Durant la guerre de Sécession, la plupart des habitants de Tuscaloosa combattent évidemment dans les rangs sudistes. Après le conflit, des troupes itinérantes avec de la musique sillonnent l’État, puis les premiers string bands apparaissent à la fin du XIXe siècle. Ils se composent d’abord de banjoïstes et de violonistes, puis s’étoffent progressivement avec des guitaristes et des mandolinistes. Des précurseurs du jazz sont originaires de l’Alabama, à commencer par le chef d’orchestre James Reese Europe, et le ragtime y fut également populaire assez tôt. Sans oublier W.C. Handy, « The Father of the Blues », natif de Florence au nord de Tuscaloosa. Le premier bluesman notoire à se faire connaître alentour est le chanteur-pianiste Cow Cow Davenport (1894-1955) : bien que né à Anniston à l’est de Birmingham, il tourne dans des troupes dès les années 1920 avec des chanteuses comme Dora Carr et Ivy Smith, elles aussi originaires de la région.

L’affiche du Johnny Shines Blues Festival 2024. © : Alabama Travel.

Ceci dit, on doit la première découverte essentielle d’une artiste locale à l’inévitable John Lomax, qui enregistre pour la Bibliothèque du Congrès la chanteuse Vera Hall (1902-1964) en 1937 et au début des années 1940, son fils Alan prenant le relais en 1959. En 1945, le folkloriste Byron Arnold l’immortalise également pour l’université de l’Alabama. Née en 1962 à Livingston non loin de Tuscaloosa et morte dans cette dernière ville en 1964, cette magnifique chanteuse de folk blues et de gospel nous laisse notamment les impérissables Trouble so hard (1937), Boll weevil blues (1940) et Another man done gone (1940), a cappella s’il vous plaît ! Je ne reviendrai pas ici sur le parcours de l’incomparable Dinah Washington (1924-1963), native de Tuscaloosa, à laquelle j’ai récemment consacré un article le sur ce site, ainsi qu’un portrait dans le numéro 256 de Soul Bag actuellement en vente. Mais on peut se faire plaisir en écoutant son fameux Long John blues (1949). Quant à Johnny Shines, certes né dans le Tennessee en 1915, il a vécu à Tuscaloosa de 1969 jusqu’à sa mort en 1992 (la ville a créé un festival qui porte son nom), et je vous propose en extrait You got to pay the cost (1980). Avant de nous quitter en 2021, sa dernière épouse Doris « Candy » Martin Shines avait pérennisé l’héritage de son mari. Elle n’a hélas rien enregistré, mais on peut la voir dans le documentaire Alabama Blackbelt Blues (Alabama Public Television, 2021), aux côtés d’autres artistes qui démontrent que la scène blues régionale reste vivace.

Dinah Washington. © : Rhino.