Récolte de la canne à sucre.

En évoquant ici hier Roger « Burn Down » Garnett enregistré par les Lomax en 1939, je me suis souvenu qu’Alan Lomax (1915-2002) ne s’était pas cantonné au seul blues et aux États-Unis, mais qu’il avait exploré les traditions musicales d’autres régions du monde, dont les Antilles françaises en 1962. L’ethnomusicologue, auteur du célèbre livre The Land Where the Blues Began* (The New Press, 1993), dont les collections suite à ses field recordings (enregistrements de terrain) sont sans doute les plus importantes de l’histoire, est ainsi venu en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy en juin et juillet 1962. Il a photographié, interviewé et enregistré des artistes locaux, réalisant ainsi des travaux pionniers et précieux sur les musiques antillaises. En janvier 2004, soit plus de quarante ans après leur réalisation, le label Rounder a sorti un CD comptant 26 morceaux issus de ces campagnes, « Caribbean Voyage – The 1962 Field Recordings – The French Antilles – We Will Play Love Tonight! », aujourd’hui difficile à trouver. Le 10 mai 2022, à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de ses abolitions, j’avais publié un article intitulé « De l’esclavage au blues ». Nous sommes aujourd’hui le 24 mai, et vous le savez très certainement, ce vendredi, soit le 27 mai 2022, marquera la commémoration de la seconde abolition de l’esclavage en Guadeloupe le 27 mai 1848.

Berthilie Lauzane devant sa boutique avec de magnifiques gwoka !

Dès lors, je vous propose de m’appuyer sur les field recordings de l’ethnomusicologue Alan Lomax, menés il y a tout juste soixante ans dans les Antilles françaises, pour commémorer cet abolition. À compter d’aujourd’hui et durant trois jours, je publierai un article avec deux chansons et des images tirées des collections de Lomax. Et vendredi 27, jour J de l’événement, je consacrerai un quatrième épisode sous la forme d’un article plus étoffé à ces campagnes de collecte, avec encore plus d’extraits musicaux et de photographies. Ce qui ne m’empêchera pas en parallèle de continuer à publier des articles sur le blues… Pour ce premier volet, j’ai choisi deux morceaux enregistrés le 16 juillet 1962 à Morne-à-l’Eau par le groupe de gwoka Les Roses.

Portrait d’un homme non identifié.

La première chanson s’appelle Dédé Mwen Kalé, dans un genre dit « toumblak », avec des chants sur le principe du call-and-response et des percussions enfiévrées, c’est obsédant et envoûtant, la mère de toutes les musiques… Les interprètes sont Michel Wayar, Turenne Joseph Valcy, Pierre Ramier, Daniel Prillon, Richard Nart, Gilbert Nart, Abel-Athanase Flauzin, Ramon Flanbert, Robert Edvige, Guy Dorvan, Clébert Dorvan, Colbert Caravelle, Robert Alphonse et Marc Alphonse.

Portrait de Berthilie Lauzane.

La deuxième chanson s’appelle Adolin Do La, Bwa Kasé, c’est une work song, une vraie, émouvante, poignante, pas de percussions, juste des chants a cappella, semblable à ceux que l’on entendait dans les plantations esclavagistes… Mêmes interprètes que le morceau précédent.

Photos (sauf mention) : réalisées le 16 juillet 1962 à Morne-à-l’Eau, Guadeloupe. Alan Lomax Digital Archive / Archive Cultural Equity.

* Traduction française en 2014 aux éditions Les Fondeurs de Briques sous le titre Le pays où naquit le blues.

L’album sorti par Rounder en 2004. © : La Médiathèque Caraïbe.