Nouveauté semaine copie

Au programme de mon émission sur YouTube, Bukka White (rubrique « Un blues, un jour ») et Boo Boo Davis(rubrique « Nouveauté de la semaine »).

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© : Shazam

Il est des bluesmen qui ne sont pas seulement très talentueux mais également particulièrement attachants. Bukka White, qui nous a quittés le 26 février 1977, il y a donc 42 ans aujourd’hui, en fait assurément partie. Chanteur remarquable, guitariste slide émérite mais également auteur de textes très évocateurs, sa carrière discographique s’étend de 1930 aux années 1970, mais elle ne fut pas régulière ni de tout repos… Booker T. Washington « Bukka » White voit le jour le 12 novembre 1904 (d’autres années sont citées dont 1906 et 1909, mais comme toujours je me fie aux derniers éléments à jour disponibles) entre Aberdeen et Houston, une grosse cinquantaine de kilomètres à l’est du Delta. Son père lui apprend d’abord le violon puis la guitare, mais du côté de sa grand-mère, pas question que le gamin se consacre au blues ! Mais des séjours durant son adolescence chez un oncle à Clarksdale le mettent au contact de bluesmen locaux dont peut-être Charlie Patton…

En 1930, White rencontre Ralph Lembo, un de ces nombreux découvreurs de talents qui officient alors dans le Sud pour les grands labels discographiques. Limbo œuvre pour Victor, et le 26 mai 1930, la marque l’enregistre pour la première fois sous le nom de Washington White. Quatre titres paraîtront dont le célèbre Panama Limited, mais aussi deux autres bien plus proches du gospel, sur lesquels White est accompagné au chant d’une certaine Miss Minnie, qui selon certaines sources serait Memphis Minnie, ce qui n’est toutefois pas avéré : White lui-même dira dans une interview qu’il ne connaissait rien de cette chanteuse qu’on lui avait imposée en dernière minute pour la séance, mais il gardait un bon souvenir de l’expérience. Dix autres chansons seront enregistrées mais jamais éditées car les matrices étaient endommagées. Ensuite, White se consacre aux travaux agricoles tout en jouant localement de temps à autre avec son père. Vers le milieu des années 1930, il tente de relancer sa carrière musicale et part tenter sa chance à Chicago et à Memphis. En 1937, alors qu’il va acheter des cordes de guitare à Aberdeen en vue d’un concert, il est pris dans une rixe. Selon ses dires en état de légitime défense, il blesse un adversaire par balle. Il a le temps d’enregistrer la même année le très fameux Shake ‘Em On Down, mais il est incarcéré au tristement célèbre pénitencier de Parchman Farm, où les Lomax l’enregistrent en 1939 pour la Bibliothèque du Congrès. Une fois libre, il grave quelques grands classiques en 1940 dont Fixin’ To Die Blues, Bukka’s Jitterbug Swing et Aberdeen Mississippi Blues.

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© : Mojohand

Sa carrière connaît ensuite une longue parenthèse. Employé à partir de la Seconde Guerre mondiale dans une usine d’armement à Memphis où il est désormais installé, il disparaît de la scène musicale. Mais en 1963, il devient une découverte essentielle du Blues Revival et signe grâce aux musiciens de folk Ed Denson et John Fahey le superbe album « Mississippi Blues » (Takoma, 1964, réédité par Sonet sous le titre « The Legacy of the Blues, Vol. 1 »). En revanche, ses deux autres disques en fin de la même année pour le label Arhoolie de Chris Strachwitz, « Sky Songs Vol. 1 » et « Sky Songs Vol. 2 » sont moins convaincants, comme s’il avait du mal se remettre vraiment dans le bain après sa longue interruption… Mais il retrouvera progressivement tout son allant et son intensité pour réaliser ensuite le remarquable « Memphis Hot Shots » (Blue Horizon, 1969), « Baton Rouge Mosby Street » (Blue Beacon, 1972) et « Big Daddy » (Biograph, 1974) à la fin de sa carrière étant également recommandables. Enfin, l’indispensable anthologie « Aberdeen Mississippi Blues » (Saga, 2007) rassemble les faces de sa première période 1930-1940. Bukka White incarnait parfaitement le blues du Delta mais son style était très personnel, ce qui le rendait immédiatement reconnaissable. Il y avait d’abord son énorme voix rauque, ainsi que son incroyable et insolente aisance naturelle à la slide, des caractéristiques qui apportaient beaucoup de ferveur à sa musique. Il se distinguait vraiment en cela, ce qui en fait un très grand bluesman, qui mourra d’un cancer. Pour donner une idée de ses formidables capacités, j’ai choisi un titre de la fin des années 1960 sur lequel il montre une technique toute particulière de lap-steel, Po’ Boy.

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© : Mojohand

 

Ma nouveauté de la semaine porte sur Boo Boo Davis, auteur en ce mois de février 2019 de l’album « Tree Man » pour Black & Tan. On peut vraiment dire qu’il est un artiste maison du label néerlandais, car depuis 2000, il a enregistré ses onze albums pour cette marque ! Désormais âgé de 75 ans, ce chanteur et harmoniciste né le 4 novembre 1943 vient de Drew dans le Delta. Et il est vraiment issu d’une famille musicale, car il a débuté dès l’âge de 7 ans à la batterie dans un groupe comprenant son père, deux de ses frères et une de ses sœurs ! Après avoir aussi appris l’harmonica, il a longtemps vécu dans la région de Saint-Louis dont il a écumé les scènes sans toutefois enregistrer. Il se fera donc remarquer à la fin des années 1990 lors de festivals et de tournées, avant de débuter sa carrière discographique peu après.

Sa musique est directe, dépouillée et sans concession, ce n’est pas un virtuose mais un artiste qui installe un climat prenant avec une grosse voix souvent caverneuse et un son d’harmonica très roots. Sur ce dernier CD, il est seulement accompagné de Jan Mittendorp, le fondateur de Black & Tan, à la guitare, et du batteur John Gerritse. Il n’y a pas trop d’effets de « surproduction » (écho, Reverb, distorsion, saturation), contrairement à certains de ses autres disques sur lesquels il y laissait un peu de sa puissance d’expression. Et comme Davis écrits ses textes et qu’il a de l’humour (même s’il recycle un peu de l’existant, car c’est un malin !), on peut dire que ce « Tree Man » fait partie de ses bons disques. N’oublions pas qu’il est un des derniers témoins de sa génération du blues du Delta originel auquel il donne une vigueur finalement assez actuelle et originale. J’ai choisi de programmer un morceau plutôt lancinant, une sorte de talkin’ blues qui s’appelle simplement Chocolate.

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© : Wegow