Nouveauté semaine copie

Au programme de mon émission sur YouTube, Tampa Red (rubrique « Un blues, un jour »), et Willie Buck (rubrique « Nouveauté de la semaine »).

TR 1

Vers 1934. © : WRFG

L’immense Tampa Red a quitté ce monde il y a 38 ans, le 19 mars 1981. Son utilisation précoce de la guitare électrique et la pureté de son jeu à la slide suffiraient pour l’installer parmi les principaux novateurs de l’instrument. On l’appelait le magicien de la guitare (The Guitar Wizard), un surnom en la circonstance tout à fait mérité, et son influence déborde largement du cadre du blues, dont il demeure un des artistes les plus repris, et s’exerce à d’autres niveaux. Il a ainsi également joué un rôle de pionnier dans l’élaboration du blues urbain à Chicago, que ce soit avec de superbes pianistes (les deux plus importants étant Georgia Tom Dorsey dès ses débuts en 1928, puis Big Maceo dans les années 1940), ou dans de petites formations aux accents souvent jazzy qui préfigurent le jump blues californien, tout en annonçant aussi le blues moderne d’après la seconde guerre mondiale. Il n’est sans doute pas excessif d’écrire que Tampa Red fut une figure majeure du blues et même de la musique populaire du siècle dernier.

TR 2

À Chicago en 1959. © : Jacques Demêtre / Stefan Wirz

Côté purement biographique, il est né Hudson Woodbridge en 1904 à Smithville en Géorgie, mais le patronyme Whittaker revient également très souvent : c’est en fait le nom de la famille de sa mère qui l’a élevé car il a perdu ses parents très jeune. Il a grandi à Tampa en Floride, ce qui lui vaudra la première partie de son surnom, le Red venant de ses cheveux décolorés, ce qui en passant n’est pas flagrant sur les photographies qui nous sont parvenues… En enregistrant notamment dans les années 1930 pour Bluebird, le principal label du blues urbain alors en plein essor, il va signer environ 250 morceaux sur la période 1928-1942, soit plus que tout autre bluesman à l’époque. Et ce n’est pas tout : au total jusqu’au début des années 1950, il va même atteindre le chiffre édifiant de 335 faces : comme nous le rappelle Gérard Herzhaft, en termes de 78-tours, c’est le record de l’histoire du blues… Un record qui ne sera évidemment jamais battu ! Et cette production pléthorique se démarque par son très haut niveau et contient de nombreux chefs-d’œuvre qui font aujourd’hui partie des classiques du blues.

TR 3

En 1978. © : Hans J.W. Kramer / Stefan Wirz

Mais le décès de sa femme en 1953 le plonge dans la déprime et il trouve refuge dans l’alcool. En 1959, il fait partie des bluesmen retrouvés par Marcel Chauvard et Jacques Démêtre lors de leur reportage qui sera publié dans leur livre Voyage au pays du blues (CLARB/Soul Bag, 1994). L’année suivante (ou peut-être en 1961 ou 1962, les sources varient à ce propos), il grave ses deux seuls albums pour Prestige Bluesville, « Don’t Tampa with the Blues » et « Don’t Jive Me », qui sont loin de valoir ses faces historiques, le premier méritant toutefois l’écoute. Malheureusement, ils ne lui permettent pas de relancer sa carrière discographique. Il s’agit sans doute d’une maigre consolation, mais il vivra quand même assez longtemps pour profiter un peu d’une reconnaissance qui se manifeste à son égard dans les années 1970. Car Tampa Red nous a donc quittés en 1981 à 77 ans, laissant derrière lui une œuvre incomparable. Ceux qui ne souhaitent rien manquer de sa production 1928-1953 chercheront l’impressionnante série en 15 volumes (!) sortie entre 1991 et 1993 par le label document, « Complete Recorded Works in Chronological Order ». Mais il existe bien d’autres anthologies plus récentes qui traitent les différentes phases de sa carrière, il faut juste veiller à éviter les doublons… Pour mon émission, j’ai choisi un classique qui fait sans doute partie des blues les plus repris, It Hurts Me Too. C’est donc très connu, mais aussi justement le moyen de mesurer combien sa version originale, qui date du 10 mai 1940, reste inégalable…

TR 4

© : Wikipedia

 

Pour la nouveauté de la semaine, je vous propose de nous arrêter sur le dernier CD de Willie Buck, sorti chez Delmark, et qui s’appelle simplement « Willie Buck Way ». Fin 2012, j’avais chroniqué dans le numéro 209 de Soul Bag son précédent album, « Cell Phone Man », également pour Delmark. Je m’étais alors enthousiasmé pour ce chanteur de 75 ans, originaire de Houston au Mississippi, où il est né William Robert Crawford le 26 novembre 1937. Arrivé à Chicago en 1953 ou 1954 et très influencé par le blues de Muddy Waters, il n’a toutefois enregistré que de rares singles, puis un album en 1982 sur son propre label Bar-Bare Records, « It’s Alright ». Malgré un accompagnement de qualité (Louis et Dave Myers, John Primer, Little Mack Simmons, Johnny « Big Moose » Walker), le disque peu diffusé passe inaperçu. Mais Buck est en quelque sorte redécouvert par Delmark en 2010, qui commence par rééditer son album de 1982 sous le titre « The Life I Love », avec 7 morceaux supplémentaires dont 5 en public.

« Cell Phone Man » suivra donc deux ans plus tard. Car Buck est vraiment un superbe chanteur, puissant et expressif, qui aurait mérité d’enregistrer bien davantage. Six ans après, en écoutant ce « Willie Buck Way », bien que Buck ait donc désormais 81 ans, je me dis que les choses ont peu changé. La voix est toujours là, à peine marquée par le temps, peut-être un peu plus voilée mais c’est bien normal. En outre, l’octogénaire a encore des choses à dire car le CD compte 12 compositions sur un total de 17 morceaux. Et comme il ne néglige rien, il s’entoure de musiciens de qualité, certains aussi expérimentés que lui (Bob Stroger et Jimmy Mayes à la rythmique), d’autres issus d’une génération plus récente, par exemple Billy Flynn à la guitare, Harmonica Hinds à l’harmonica et Johnny Iguana au piano. Au bilan, cela donne un disque très solide et généreux de Chicago Blues, sans fioritures ni concessions mais bougrement efficace. Que demander de plus ? Dans mon émission, j’ai programmé un beau blues lent intitulé Can’t Say Something Good About Me.