Au programme de mon émission sur YouTube, Eddie C. Campbell (rubrique « Un blues, un jour »), et Lurrie Bell & the Bell Dynasty (rubrique « Top of Blues »).
Pour évoquer Eddie C. Campbellqui aurait eu 80 ans aujourd’hui, comme je l’ai fait précédemment avec d’autres artistes dans des circonstances similaires, je vous propose le texte intégral que j’avais rédigé pour Soul Baglors de la disparition du bluesman le 20 novembre dernier. Un article toutefois légèrement mis à jour avec des liens supplémentaires, auquel j’ajoute également une sélection discographique détaillée que j’avais publiée sur ce site dans un article du 22 novembre 2018. Dans mon émission, je vous propose un extrait de son formidable album de 1977 « King of the Jungle »(Mr. Blues), avec la chanson éponyme.
EDDIE C. CAMPBELL, 1939-2018
© : Daniel Léon / Soul Bag
En pleine tournée européenne, en février 2013, Eddie C. Campbell fut victime en Allemagne d’une attaque qui le laissa paralysé du côté droit. Elle marqua cruellement la fin d’une carrière qui trouvait pourtant un nouvel élan depuis 2010 : on le revoyait alors régulièrement sur nos scènes hexagonales après une bonne quinzaine d’années d’absence… Mais il ne récupéra jamais complètement, et les dernières années de sa vie furent un véritable calvaire pour ce magnifique styliste de la guitare blues au jeu inimitable, identifiable dès que la première note sonnait. On plutôt qu’elle claquait. Car chaque son qu’il tirait de son instrument claquait comme un fouet et provoquait imparablement un frisson qui nous parcourait de la tête aux pieds.
Eddie C. Campbell vient de Duncan, Mississippi, un gros village situé à l’ouest du Delta, à moins de dix kilomètres du « grand fleuve ». Mais il n’y restera pas très longtemps et arrivera à Chicago vers le milieu des années 1940, peut-être un peu plus tard. Une chose est toutefois sûre, il est plongé très jeune dans l’univers du blues et côtoie même carrément Muddy Waters à seulement 12 ans ! Car il a grandi dans une famille musicale. En 2010, dans une interview qui sera publiée dans le numéro 199 de Soul Bag, alors que je lui demandais s’il avait appris à jouer de la guitare auprès de sœur aînée (je faisais référence au titre Sister taught me guitartiré de son album « That’s When I Know » en 1994), il me répondit : « Absolument, ma sœur m’a appris, elle jouait de la slide avec un bottleneck, les sons qu’elle produisait ont marqué mon esprit. (…) Ma musique vient donc de ma sœur, mais ma mère m’a aussi appris à chanter. »
D’abord actif dans le South Side, il s’inspire des « vétérans » du Sud et du quartier, mais ses amis d’enfance, avec lesquels il joue dès l’adolescence, s’appellent Magic Sam et Luther Allison, de futurs « maîtres » du West Side Sound. Campbell accompagnera donc aussi Howlin’ Wolf, Little Walter, Jimmy Reed, Percy Mayfield, Lowell Fulson, Willie Dixon et même B.B. King. Ses influences somme toute diverses favoriseront assurément son approche et son phrasé si original. Et n’oublions pas de mentionner que Campbell est aussi un très bon chanteur à la voix chaude et grave. Mais comme bien des artistes dédiés à l’accompagnement, il n’enregistre quasiment rien, sinon quelques rares singles dans les années 1960 (on trouve cinq titres de 1968 sur la compilation « Chicago/The Blues Yesterday! – Volume 2 » dans la série Blue Eye de Gérard Herzhaft).
Puis, en 1976, il devient membre des Chicago Blues All-Stars de Willie Dixon. Entouré de membres de cette formation (Carey Bell à l’harmonica, Lafayette Leake au piano, Bob Stroger à la basse et Clifton James à la batterie), il enregistre l’année suivante « King Of The Jungle » (Mr. Blues, réédité ensuite sur Rooster Blues), un premier album en tous points génial. Quarante ans après sa sortie, il reste régulièrement cité parmi les meilleurs disques de blues de l’époque, et l’un des plus édifiants du style West Side. Même si Campbell n’aimait pas les étiquettes, comme il me le confia en 2010 : « Je vois ça comme ça : chacun joue son propre style. Moi, je vis à Chicago, dans le West Side (…), et c’est un fait, on a appelé le style local le West Side blues. Mais en réalité, chacun s’exprime dans son style personnel. Little Walter avait son propre son en soufflant dans son harmonica, tout comme Jimmy Reed quand il jouait de la guitare et de l’harmonica. Ils vivaient dans le West Side mais jouaient tous leur musique à eux, personnelle. Et si j’habitais encore dans le Mississippi, je jouerais de la même manière qu’aujourd’hui. Mais tout le monde appelle ça le West Side Chicago blues car nous vivons là-bas. »
Mais sa carrière discographique ne décolle pas. Pour des motifs sur lesquels il restera toujours évasif (on parla de problèmes judiciaires, de fuite à cause du racisme…), Campbell parcourt ensuite l’Europe à partir de 1984, de l’Angleterre aux Pays-Bas en passant brièvement par la France, mais il vit de nombreuses années en Allemagne. Durant cette période, il signe deux albums réussis, « Let’s Pick It! » pour Black Magic en 1984 et « Mind Trouble » en 1988 pour Wolf. De retour aux États-Unis, il se distingue en 1994 avec l’excellent « That’s When I Know » pour Blind Pig. Seulement quatre autres CD suivent, tous consistants y compris les deux derniers pour Delmark, « Tear This World Up » (2009) et « Spider Eating Preacher » (2012). S’il prenait son temps pour sortir ses disques, cet ancien amateur de sports de combat était moins raisonnable sur deux roues : « Je suis un “hot rider”, mon hobby est de conduire à moto, j’aime la vitesse, j’adore l’Allemagne car il n’y a pas de limitation de vitesse… » En tout cas, dans le paysage d’un Chicago blues riche en bluesmen de qualité, et outre sa personnalité attachante, Eddie C. Campbell nous laissera l’image d’un talent hors pair absolument unique en son genre.
EDDIE C. CAMPBELL – SÉLECTION DISCOGRAPHIQUE
– « Chicago/The Blues Yesterday! – Volume 2 », compilation tirée de la remarquable série Blue Eye de Gérard Herzhaft. La sélection propose cinq titres très rares issus des singles enregistrés par Campbell en 1968.
– « King of the Jungle » (1977). Sorti à l’origine chez Mr. Blues puis réédité par Rooster, le premier album d’Eddie C. Campbell fut un coup de maître. Entouré des musiciens de Willie Dixon (Carey Bell à l’harmonica, Lafayette Leake au piano, Bob Stroger à la basse et Clifton James à la batterie), le bluesman délivre un disque inspiré marqué par le West Side, auquel il apporte sa touche personnelle avec son jeu de guitare aux nuances irréelles et sa voix grave pleine de maîtrise. Même si les registres diffèrent, par son importance dans l’histoire du blues moderne (et son impact sur moi !), ce disque me ramène à celui de Fenton Robinson, « Somebody Loan Me a Dime » (1974, Alligator). Pas nécessairement plébiscités lors de leur sortie, tous deux seront ensuite considérés comme d’authentiques chefs-d’œuvre…
– « That’s When I Know » (1994, Blind Pig). J’avais « redécouvert » Campbell avec cet album. Écoute après écoute, il révèle toutes les subtilités et la richesse de la musique du bluesman, au point d’incarner parfaitement à la fois son style original et sa personnalité.
– « Tear This World Up » (Delmark, 2009). Sorti peu avant notre interview, nous en avions parlé ensemble « off the record ». Un disque plus audacieux que d’autres, sur lequel il démontre que son jeu de guitare peut se faire plus « terrien ». Il cède même à un titre acoustique traditionnel, simplement appelé Bluesman…
– « Spider Eating Preacher » (Delmark, 2012). Avec Lurrie Bell (guitare sur deux titres et harmonica sur un autre), et surtout trois cuivres sur plusieurs morceaux, mais aussi sa femme Barbara à la basse, son fils David au violon… Un CD varié et efficace avec un Eddie C. Campbell en verve et en belle forme à 72 ans, qui s’essaie aussi à l’harmonica sur deux morceaux, et auteur de douze compositions sur quinze titres. Comme quoi il avait encore bien des choses à dire…
Pour ce « Top of Blues », je continue de passer en revue les nominés des prochains Blues Music Awards qui seront remis le 9 mai à Memphis, soit dans trois jours, l’échéance est désormais très proche. Après l’album de l’année pour Nick Moss et Dennis Gruenling, puis l’album acoustique de l’année avec Dom Flemons, je vous propose de nous arrêter sur l’album de blues traditionnel de l’année. Les nominés dans cette categorie sont : Buddy Guy, Nick Moss et Dennis Gruenling, Ronnie Earl and the Broadcasters, Lurrie Bell & the Bell Dynasty et Anthony Geraci. J’ai choisi Lurrie Bell & the Bell Dynasty pour leur album « Tribute to Carey Bell » sorti chez Delmark. Dans la famille Bell, on connaît le père, Carey, superbe harmoniciste et chanteur qui nous a quittés en 2007, et son fils Lurrie, chanteur et guitariste qui fait partie des meilleurs bluesmen en activité.
Mais Lurrie a également trois autres frères bluesmen que l’on retrouve sur ce CD, Steve l’harmoniciste, Tyson le bassiste et James le batteur, qui chante aussi sur quelques morceaux. On peut donc vraiment parler de dynastie… S’agissant d’un hommage à Carey Bell, ses enfants ont aussi invité deux grands harmonicistes, Billy Branch et Charlie Musselwhite. On peut dire ce que l’on veut de ces artistes, on a l’impression d’avoir déjà entendu mille fois ce qu’ils font, mais ils le font tellement bien, avec un tel naturel tout en respectant l’esprit, avec feeling, qu’on est systématiquement captivé et même transporté. Vous l’avez compris, il s’agit de Chicago Blues, et du meilleur. Je vous propose de les écouter dans mon émission sur un blues lent, Heartaches and Pain.
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