Au programme de mon émission sur YouTube, Big Bill Broonzy (rubrique « Un blues, un jour ») et Jack Mono Blues (rubrique « Blues in France »).
Encore une figure centrale du blues aujourd’hui avec le grand Big Bill Broonzy, a priori né le 26 juin 1903. Car il faut avouer que les éléments biographiques sur ses premières années restent incertains et les sources sont très contradictoires. Fidèle à mon principe, je me base sur les études les plus récentes à jour, sans toutefois aucune garantie de certitude. Plutôt qu’en 1893 ou 1898, les autres dates les plus courantes, Big Bill serait donc né en 1903, et plutôt près d’Altheimer en Arkansas qu’à Scott dans le Mississippi. Ce point est important car cela signifierait qu’il n’a pu participer à la Première Guerre mondiale en Europe comme il l’aurait pourtant affirmé. En tout cas, alors que sa famille était installée du côté de Pine Bluff en Arkansas, il aurait appris le violon vers l’âge de 10 ans, se serait produit localement avec un ami guitariste, Louis Carter, aurait tâté un peu du banjo et de la guitare à l’adolescence, avant de se marier, d’être métayer et d’exercer comme pasteur.
Sa biographie est mieux établie à partir de l’époque à laquelle il arrive à Chicago, soit au tout début des années 1920. Il choisit alors de délaisser le violon pour se consacrer plus sérieusement à la guitare, tout en s’appuyant également sur sa superbe voix puissante. Sa musique, au début proche des traditions folkloriques ancestrales issues des spectacles itinérants comme les minstrel shows, moins du Delta Blues comme il m’est arrivé de le lire, évolue rapidement vers une approche plus urbaine. Cette métamorphose est favorisée par le contact des autres musiciens de la ville, son jeu de guitare sophistiqué en picking et ses propres capacités d’assimilation manifestement très développées. Broonzy enregistre ses premiers titres en 1925, et durant la décennie suivante, il s’impose en catalyseur et principal fondateur du blues urbain à Chicago. Il joue en cela un rôle comparable à celui de Muddy Waters à Chicago pour le blues moderne dans les années 1950. Il connaît ses plus importants succès commerciaux durant la seconde moitié des années 1930, et sa participation en 1938 et 1939 aux fameux concerts « From Spirituals to Swing » au Carnegie Hall lui permet d’accroître sa réputation.
Puis il élargit encore son répertoire au point de laisser penser qu’il sera un des acteurs du blues moderne dans les années 1950. Mais à la fin des années 1940, il devient membre de la revue folk itinérante « I Come to Sing », et quand il tourne en France dès 1951 à l’initiative d’Hugues Panassié, ce qui fait de lui un des premiers « importateurs » du blues sur le Vieux Continent, il privilégie un registre folk blues. Plus adulé en Europe que dans son pays, il va profiter de cette réussite avec cette musique proche de ses origines, ouvrant de nouvelles portes en anticipant le Blues Revival des années 1960. Enfin, toujours en pionnier, il publiera en 1955 avec le Belge Yannick Bruynoghe son autobiographie, Big Bill Blues. Il décède le 15 août 1958 à 55 ans des suites d’un cancer de la gorge. Sa discographie est considérable et disponible sous les formes les plus diverses. Comme souvent, le label autrichien Document propose dans une impressionnante série de 13 CD ses enregistrements historiques (1927-1951), « Complete Recorded Works in Chronological Order ». Et s’il vous reste un peu de place dans votre discothèque (et un peu d’argent sur votre compte !), parmi ses albums tardifs, « Big Bill Broonzy Sings Folk Songs » (Smithsonian Folkways), sorti à l’origine en 1956, est un must… Dans mon émission, j’ai choisi une vidéo de 1957 avec un medley, Worried Man Blues/Hey, Hey/How You Want It Done.
Pour finir la saison de « Blues in France », prenons la direction de Lyon où œuvre Jack Mono Blues, qui vient de sortir un nouvel album, « Everything’s Gonna be Alright » (autoproduction). Bientôt trente-cinq ans d’existence, huit albums au compteur avec celui-ci, ça vous classe un groupe dont l’expérience n’est évidemment pas à démontrer. Mais commençons par citer les artistes : Jack Mono Blues se compose de Régis Delongvert à la guitare et au chant, de Philippe Bruneau à l’harmonica et au chant, d’Yves Lafont à la basse et de Guy Chanteperdrix à la batterie. Ils nous ont concocté un album live généreux qui compte seize titres, représente soixante-treize minutes de musique, tiré de trois concerts enregistrés en 2014 lors du festival du Péristyle de l’Opéra à Lyon, en 2015 lors d’une fête privée à Crest (Drôme) et en 2016 au Hall Blues Club à Pélussin (Loire).
Alors bien sûr, histoire d’en finir tout de suite avec cet aspect, le CD ne comprend que des reprises. Mais Jack Mono Blues a parfaitement assimilé l’esprit du blues, en particulier celui du Chicago des fifties, et son interprétation l’illustre à la perfection. Je suis notamment frappé par la cohésion du groupe, il ne s’agit jamais de nous en mettre plein la vue mais bien d’installer un véritable climat, tendu, poisseux, mais aussi festif. Certes, l’harmonica est souvent en avant mais il faut bien un soliste, et Philippe Bruneau passe avec aisance d’un style à l’autre, de Little Walter à Sonny Boy Williamson II en passant par Billy Boy Arnold et Junior Wells. Régis Delongvert est impeccable d’un bout à l’autre à la guitare, ses solos ont la juste mesure, son jeu rythmique est bien présent mais au service des autres. Quant à la rythmique elle-même, elle a cette souplesse qui là encore ouvre bien des portes sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter. C’est compact, rien ne dépasse, la ligne directrice est bien établie et on se sent toujours à l’aise, comme quand on se rassemble autour d’une bonne table.
Dès lors, il est difficile de ressortir des morceaux, ces gars sentent le blues et nous y plongent jusqu’au cou. Bon, je me prends quand même au jeu, et j’ai d’abord envie de relever les morceaux lents, un exercice qui semble parfois rebuter les groupes français. Ici, j’ai apprécié The Same Old Thing et son parfum West Side qui étreint, l’intensité de I Just Want to Make Love to You ou d’Hoodoo Man en outre rehaussé par un chant impliqué. Sur un tempo plus enlevé, je citerais I Can’t Be Satisfied (tout en souplesse avec sa slide et son harmo racinien), That’s All Right Mama avec sa rythmique galopante, la lecture dépouillée de son caractère urbain de Key to the Highway, les tempos proches du shuffle portés par la guitare rythmique de Next Time You See Me et d’Everything’s Gonna be Alright, enfin Help Me avec son final ébouriffant qui démontre que le public aime aussi. Mais, et je me répète, c’est bien la cohésion de la formation qui prédomine et apporte toute sa force à cette musique. J’ai choisi pour mon émission I Wish You Would, qui incarne justement bien cet état d’esprit que j’évoque plus haut : au début, on croit à une imitation avec le solo d’harmonica, puis l’improvisation s’invite et on se laisse embarquer… Bravo messieurs, il s’agit là d’un très bel hommage au blues !
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