Réédition semaine copie

Voici donc une deuxième émission consacrée à des morceaux qui font à mes yeux partie des réalisations marquantes de l’années 2019. Elle est disponible à cette adresse et comprend deux nouveautés et une réédition.

Commençons par le chanteur et harmoniciste de Chicago Billy Branch, auteur chez Alligator de l’album « Roots And Branches – The Songs Of Little Walter ». Né William Earl Branch le 3 octobre 1951 à North Chicago, il passe son enfance à Los Angeles, apprend l’harmonica vers ses dix ans, et mène de brillantes études (il est diplômé en sciences politiques) avant de se consacrer plus activement au blues à partir des années 1970. Il fonde alors les Sons of Blues (avec Lurrie Bell, fils de Carey, et Freddie Dixon, fils de Willie), un groupe qui existe toujours même si les membres ont souvent changé depuis cette époque. Billy Branch a somme toute peu enregistré sous son nom, mais c’est un artiste très actif présent sur des dizaines d’enregistrements d’autres bluesmen. Il s’investit en outre dans des programmes éducatifs (Blues in Schools) et siège au comité des Grammy Awards. Je ne m’attarde pas davantage ici sur la biographie de Billy Branch car il fera l’objet d’un portrait dans le prochain numéro de Soul Bag à paraître mi-mars 2020. Quant à ma chronique du CD dont il est ici question, publiée dans le numéro 236 de Soul Bag, je vous propose d’en lire le texte intégral à la fin de cet article. Un excellent album qui mat en relief toutes les facettes du talent de Billy Branch. Dans mon émission, j’ai programmé Hate to see you go.

Passons maintenant à une réédition que nous devons au label Bear Family, « Blues Kings of Baton Rouge ». Elle se compose de deux CD totalisant cinquante-trois morceaux et couvre la période 1954-1971. La sélection s’arrête certes sur le Swamp Blues, mais aussi sur les autres styles de blues de la capitale de la Louisiane, et on retrouve des artistes très connus comme Lightnin’ Slim, Slim Harpo, Robert Pete Williams, Lazy Lester, Clarence Edwards, Lonesome Sundown, Raful Neal, Tabby Thomas, Silas Hogan ou encore Henry Gray. Mais vous avez combien j’aime ces anthologies qui nous réservent toujours des surprises et des raretés, œuvres d’artistes oubliés mais de grand talent. C’est le cas de Schoolboy Cleve, chanteur et harmoniciste né Cleveland White le 10 juin 1928 non loin de Baton Rouge. Il s’est fait connaître aux côtés de Lightnin’ Slim à partir de 1954, contribuant ainsi aux débuts du Swamp Blues, et il a enregistré quelques faces au tournant des années 1950 et 1960. Le bluesman part ensuite s’installer en Californie, où il a considérablement réduit ses activités musicales. Le label Cherrie a toutefois sorti en 2006 une compilation de ses titres enregistrés entre 1954 et 1998, « South To West – Iron And Gold ». Schoolboy Cleve nous a quittés le 5 février 2008 à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Je vous propose de l’écouter dans mon émission en 1954, avec un morceau sur lequel Lightnin’ Slim l’accompagne à la guitare, et qui s’appelle Strange letter blues.

On termine cette petite rétrospective avec Jimmy « Duck » Holmes, qui a donc sorti l’an dernier « Cypress Grove » chez Easy Eye Sound. On connaît bien le bluesman aujourd’hui âgé de soixante-douze ans, né le 28 juillet 1947 à Bentonia, où il s’occupe depuis bientôt cinquante ans du Blue Front Cafe, souvent considéré comme le dernier juke joint traditionnel du Mississippi. Je ne m’attarde pas non plus sur la biographie de Holmes ici car je lui ai consacré un article sur ce site le 8 novembre 2019. Et comme pour Billy Branch plus haut, je joins en fin d’article le texte intégral de ma chronique du CD « Cypress Grove » (qui est du même très haut niveau que tous ses albums précédents) publiée dans le numéro 237 de Soul Bag. Pour illustrer tout ça dans mon émission, j’ai choisi Two women.

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CHRONIQUE : BILLY BRANCH & THE SONS OF BLUES, « ROOTS AND BRANCHES – THE SONGS OF LITTLE WALTER »
© : Daniel Léon / Soul Bag
À la tête depuis 1977 de ses Sons of Blues, qui se composent aujourd’hui de Giles Corey (g), Sumito « Ariyo » Ariyoshi (p), Marvin Little (b) et Andrew « Blaze » Thomas (dm), Billy Branch nous propose un album de tout premier ordre, un hommage à Little Walter avec des standards de l’artiste et des chansons qu’il interprétait régulièrement. Mais pas d’imitation mièvre ici. Branch, grâce à sa virtuosité, son invention et son sens de la mélodie, qui en font peut-être bien le meilleur harmoniciste en activité, s’accapare les titres et les renouvelle brillamment. Il est en outre servi par une formation pleine de maîtrise, où les musiciens se distinguent avec tact : Corey sur les tempos lents de Blue and lonesome et Last night, Ariyoshi sur un My babe plein d’entrain, sur le medley Just your fool/Key to the highway et sur Blues with a feeling. La section rythmique agile donne du ressort ou maintient la tension, et il faut absolument insister sur la prestation d’Andrew « Blaze » Thomas (Welch-Ledbetter Connection, James Armstrong, Mississippi Heat, Bernard Allison, Ana Popovic, Billy Flynn…). Hérité des maîtres-batteurs de Chicago comme Willie Smith, son jeu fait merveille de bout en bout, on s’arrêtera en particulier sur Hate to see you go et You’re so fine, du grand art ! On se répète inévitablement, mais quand les bluesmen de Chicago arrivent ainsi à l’osmose, à la limite de l’improvisation en studio, ils restent inégalables dans leur genre. Quant à Billy Branch, dont le chant apparaît ici très affirmé, il se lâche vraiment, prend beaucoup de place (ce qu’il aurait peut-être dû faire plus souvent), laisse donc libre court à son imagination, et face à cette démonstration, je me demande s’il a précédemment fait mieux sur disque…

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© : Soul Bag

CHRONIQUE : JIMMY « DUCK » HOLMES, « CYPRESS GROVE »
© : Daniel Léon / Soul Bag
Ce n’est pas la première fois que Dan Auerbach (Robert Finley, Leo « Bud » Welch…) s’associe avec un bluesman, pour un résultat une fois de plus très probant. Mais pour le titre inaugural, Jimmy « Duck » Holmes n’a besoin de personne, et sa lecture de Hard times, bien qu’il s’accompagne seulement à la guitare acoustique, réaffirme quel monstre vocal il est. Ce chant hanté, sombre et profond caractérise bien l’ensemble de cette réalisation, à laquelle participent par ailleurs brillamment Marcus King et donc Auerbach aux guitares, mais aussi Sam Bacco à la batterie et aux percussions. Mais mention spéciale à Eric Deaton dont la basse gronde et cogne sans répit de la première à la dernière seconde pour bien imprimer sa marque indélébile dans les esprits : Cypress grove, Goin’ away baby, Little red rooster (méconnaissable et étonnant avec ses percussions d’inspiration indienne et son saxophone), Devil got my woman qui incarne tous les fondamentaux de cette musique et la composition Two women sont autant de sommets dans leur genre. Mais rien n’est faible, et il importe aussi d’insister sur la justesse de la production, avec juste ce qu’il faut d’écho pour donner plus de relief à l’art singulier du leader, sans toutefois le trahir ou le mettre en retrait. D’ailleurs, les interventions d’Auerbach à la guitare, coups de boutoir ponctuels et incisifs, semblent obéir à cette même volonté de souligner sans effacer. Bien entendu, on aurait aimé un peu plus de compositions personnelles (3 sur 11), sans toutefois perdre de vue que l’interprétation des reprises par Holmes reste très personnelle. Un grand disque de plus pour un bluesman dont la discographie d’un rare niveau d’excellence aura de toute façon marqué son époque.