Au festival du Bout du Monde, presqu’île de Crozon, Finistère, Bretagne. © : Maxppp / PhotoPQR/Le Télégramme/François Destoc.

En tant que résident marie-galantais, je me devais d’y venir… Je me devais de vous parler du groupe Delgres, dont le nom (mais sans accent) est un hommage au héros abolitionniste Louis Delgrès (1766-1802), qui en Guadeloupe lutta jusqu’à la mort face aux troupes de Napoléon qui avait rétabli l’esclavage. Fondé en 2016, le groupe Delgres est un trio qui se compose de Baptiste Brondy à la batterie, Rafgee au sousaphone (ou soubassophone, très gros cuivre voisin du tuba, qui supplée la basse) et Pascal Danaë, véritable leader qui chante, joue de la guitare et compose les chansons. Or, il se trouve que Pascal est originaire de notre île car son père est né à Marie-Galante ! La musique de Delgres est généralement qualifiée de blues créole, et justement, Pascal chante essentiellement en créole. Les textes de ses chansons, souvent engagés, en font un des compositeurs les plus intéressants apparus ces dernières années.

La couverture du numéro 242 de Soul Bag.

En 2018, Delgres a sorti un premier album, « Mo Jodi » (PIAS), plébiscité par la critique avec une nomination aux Victoires de la musique (catégorie « Musiques du monde ») et vainqueur du prix de l’Académie Charles-Cros (catégorie « Meilleur album de blues »), prestigieuse association de critiques et de spécialistes du disque créée en 1947… Le 9 avril 2021, Delgres a sorti un deuxième album chez PIAS, « 4:00 AM » (« 4 heures du matin » ou « 4 èd maten » en créole). Un disque qui surpasse le précédent, pourtant déjà remarquable ! Dans le numéro 242 de la revue Soul Bag, Delgres figure en couverture et fait l’objet d’un article de dix pages. C’est la première fois en 242 numéros et en cinquante-trois ans d’existence que Soul Bag consacre sa couverture à un groupe français, et l’artiste central de cet événement est donc d’origine marie-galantaise ! J’aurai sans doute l’occasion de reparler de Delgres sur ce site. Pour l’heure, je vous propose d’écouter la chanson-titre du deuxième album, 4 èd maten, écrite en hommage au père de Pascal Danaë. C’est à l’image du groupe : brûlant, plein de ferveur et franchement jouissif… Et je ne résiste pas au plaisir de vous mettre ci-dessous la chronique de cet album écrite par Nicolas Teurnier, le rédacteur en chef de Soul Bag, dans le numéro 242.

© : Soul Bag.

« Ce réveil qui sonne trop tôt, cette contrainte horaire qui nous sort du cocon de l’enfance, Delgres y met le feu. Tout un symbole pour un trio qui, baptisé d’après un héros anti-esclavagiste, a placé une soif de liberté au cœur de son identité. S’il n’est jamais évident de donner suite à un premier album marquant (« Mo Jodi », 2018), Pascal Danaë, Rafgee et Baptiste Brondy ont trouvé une solution : faire encore mieux. L’effet de surprise de leur détonante mixture blues rock créole pulsée au sousaphone ne joue plus, alors ils s’appuient sur un très haut niveau de complicité acquis au fil du temps passé sur les routes et les scènes. Façonné avec le même quatrième homme, l’ingé son et coproducteur Nicolas Quéré, « 4:00 AM » pousse plus loin le jeu de textures sonores à partir des mêmes ingrédients. Autour d’un chant habité, patiné, cabossé, une batterie conquérante qui aime toujours martyriser ses toms, un sousa agile qui plutôt que de parader devant fournit un formidable travail de liant, une ou plutôt des guitares qui riffent dur, slident subtil et tissent de poignantes mélopées en reliant Louisiane, Caraïbes et Afrique de l’Ouest. Une touche de programmation, plusieurs claviers, ici une percée de trompette, là un chœur hanté ou vaudou, et surtout un ensemble plus compact, très affûté, qui parvient à étoffer cette trame instinctive chère au trio en projetant son souffle dans les voiles de ses thèmes. Car il s’agit bien là d’une suite de chansons qui remuent. En plaçant le curseur de son inspiration sur l’intime, le vécu personnel et familial, Pascal y trouve, à l’image des grands songwriters, une résonance universelle. Déracinement, aliénation, désenchantement, séparation… Des sujets lourds de sens mais ici jamais pesants. Le doigt sur la douleur d’hier et l’urgence d’aujourd’hui, Delgres rappelle que l’espoir de demain est un combat fait de courage et de métissages. Le réveil de l’humain. »
Nicolas Teurnier, Soul Bag.